Transmission de la psychanalyse

mercredi 20 mai 2009
par  P. Valas

Au-delà du miroir
 

La transmission de la psychanalyse
Patrick Valas


 

« L’analyste ne s’autorise que de lui même…
et de quelques autres ».
J. Lacan


 

L’analyste ne s’autorise pas de son égarement.

Rumeur publique :

Par des voies plutôt obscures, les meilleures ou les pires, c’est souvent informé par la rumeur publique qu’un sujet vient à l’analyse, et ce qui fait pour nous l’intérêt de cette rumeur (dont on connaît les effets pas seulement sur les histoires mais aussi sur « l’histoire » du mouvement analytique) n’est pas tant le niveau somme toute assez élevé d’ordure qu’elle véhicule, en désignant d’une façon assez peu pertinente la place de l’analyste, que le sens à lui donner en référence aux quatre discours à se situer dans leur marge.

Si le lâchage d’un discours plonge le sujet pour un temps dans la confusion, l’introduisant au champ du déconnage qui est celui de la vérité, sa persistance à ne vouloir jouer le jeu d’aucun selon sa structure, donne consistance à la connerie, voire à la canaillerie, de n’avoir pas opéré cette conversion de la vérité de la connerie à la connerie de la vérité, venant à cette drôlerie de confondre la transmission de la psychanalyse avec la transmission des analysants.

L’analyste ne s’autorise pas de son égarement, c’est d’une éthique dont il s’agit dans la transmission de la psychanalyse et le transfert ne saurait y faire défaut.
Si l’École Freudienne mérite son nom, au sens où ce terme s’emploie depuis l’antiquité, c’est quelque chose où doit se former un style de vie, l’épreuve des faits montre qu’il y a pour les analystes deux façons de tenir ensemble : le lien fragile et aléatoire du transfert ou bien l’organisation bureaucratique.

Un enseignement freudien ?

À la lecture de Freud on voit qu’il part de la forme articulée que son sujet donne à des éléments comme le rêve, le lapsus, le mot d’esprit pour porter son interprétation, laquelle est de l’ordre de la traduction avec son effet de perte de ce qu’elle touche au réel, le réel pour l’être parlant c’est qu’il se perd dans le rapport sexuel. Si Freud a centré les choses sur la sexualité c’est dans la mesure où, dans la sexualité, l’être humain bafouille. Un enseignement freudien est celui qui nous rappelle le principe même de notre expérience, c’est à dire que c’est le langage qui se trouve en place d’être l’organisateur pour l’être parlant de son destin comme de son monde. Ce qui nous distingue des autres agglutinations analytiques, ce que nous avons à reconnaître est ceci que : l’Inconscient est structuré comme un langage, c’est ce que nous enseigne Lacan, et si on ne sait pas trop au début pourquoi on a choisi son enseignement, le plus souvent comme ça au hasard, après ça a des suites et ça vaut la peine de les pousser jusqu’à leurs dernières conséquences.

Le prétendu terrorisme de son enseignement est un contresens, car chacun peut le mettre à l’épreuve, la contrainte qu’exerce cette théorie c’est la contrainte même du discours analytique, on peut la mettre à l’épreuve de sa propre expérience d’analyste ou d’analysant.

Lacan est un analyste

Pas besoin de le défendre sur ce point, mais la reconnaissance de son enseignement passe par le préalable de le reconnaître comme celui d’un analyste. Pour tous ceux qui l’ont rejeté ou quitté, il y a toujours eu un rejet plus ou moins avoué de sa pratique dite, par la rumeur « des séances courtes », alors que Lacan n’a jamais fait usage de ces termes pour qualifier sa pratique. Bien qu’il en ait donné des éléments de réponse partout dans son enseignement, et sans vouloir prétendre épuiser la question, on donnera ici un point de vue de l’analysant à propos de cette pratique, développé ultérieurement sur le thème « de séance courtes et temps du rêve ». On pourra toujours objecter : Oui, il a une pratique et sa théorie n’en est que le prolongement. Mais qu’est ce que cela nous prouve ?

La façon dont Lacan nous prévient de comment s’y rendre avec son enseignement mérite de retenir notre attention, je le cite :

« Pas moyen de me suivre sans passer par mes signifiants, mais passer par mes signifiants comporte ce sentiment d’aliénation qui les incite à chercher selon la formule de Freud, la petite différence ; malheureusement cette petite différence leur fait perdre la portée de ce que je leur désignai » [1].

C’est à prendre ou à laisser, voilà où se situe la position problématique et périlleuse du disciple.

Si Lacan se pose comme analysant à son séminaire, son discours n’est cependant pas celui de l’association libre, ce qui n’empêche pas qu’il est à traduire, à interpréter. Son dire n’étant pas pliable à tous les sens, parce que ce discours touche au réel. Or un réel qui exclut tout sens serait contraire à notre pratique pour laquelle les mots ont une portée. Etant donné que cet enseignement a été formulé pour raviver, décaper ce que Freud a avancé, on ne peut pas ne pas en tenir compte, et chaque fois que les mathèmes de Lacan peuvent paraître adéquats à l’expérience d’un analyste, on ne voit pas du tout pourquoi il faudrait inventer autre chose ; le désir d’originalité, c’est une façon d’échapper à la logique d’un discours.

Les analystes, pourquoi enseignent ils ?

Parce que le joug du savoir est un des piliers du discours psychanalytique. Ainsi la plupart de ceux que j’ai interrogés m’ont répondu « ça me force à travailler » en quoi ils ont bien raison, puisque l’enseignant devient l’effet de l’enseignement et chacun sait qu’on enseigne pour s’instruire. Aussi ce n’est pas un mauvais biais que d’interroger le désir de l’analyste par le biais du désir de l’enseignant.

Les analystes ont besoin de parler, et si cette force infernale qui les pousse à parler et à enseigner c’est le surmoi, la question se pose alors de l’éthique de l’enseignant. Est-il responsable dans ce qu’il avance, des effets sur son auditoire ? Dans la mesure où l’idéal de son enseignement vise à une mathématisation de ses formules pour être intégralement transmissible, le mathème est il au couple enseignant-enseigné ce qu’est l’interprétation au couple analysant analyste ? Pour autant qu’il n’en connaît pas les effets, de ne pas pouvoir calculer la jouissance du sujet qui la reçoit et dont il a reçu la confiance ?

Dialogue entre le Maître et l’Élève :

L’ÉLÈVE (enthousiaste) : Maître, tu es mon maître.

LE MAÎTRE : Je dois aux stoïciens mon respect pour le suicide.

L’ÉLÈVE : Maître, je ne te comprends pas.

LE MAÎTRE : Heureusement pour toi, car grâce à cette marge, il te restera toujours la possibilité de dire que tu crois me suivre, ce qui ne sera pas sans problème pour toi, mais ça te laissera la porte ouverte à une progressive rectification.

L’ÉLÈVE : Maître, jusqu’où te suivre ?

LE MAÎTRE : Tu me suivras jusqu’à ce point où tu perdras ma trace « car la psychanalyse ne vaudra que ce que tu vaudras quand tu sera psychanalyste, elle n’ira pas plus loin que là où elle peut te conduire, ce qu’il me faut te dire, c’est le risque pour toi de ce mariage au sort de la psychanalyse, car il ne suffit pas que tu sois selon la formule classique parfaitement au clair dans tes relations avec tes patients, il faut aussi que tu puisses supporter tes relations avec la psychanalyse elle même » [2].

D’où il reste pour l’élève à découvrir :

- Qu’il ne peut être enseigné qu’à la mesure de son savoir.

- Que c’est par les seules voies d’un « transfert de travail » que peut être transmis d’un sujet à un autre, l’enseignement de la psychanalyse.

- Qu’il n’y a pas de formation de l’analyste, mais des formations de l’inconscient révélées par une expérience unique, celle de la psychanalyse.

Passe et fin d’analyse.

Bien qu’ils soient d’importance, on n’a pas abordé ici d’une façon développée les problèmes de la fin de l’analyse et ceux de sa transmission par l’expérience instituée de la passe. :
- Rupture et renouage du transfert en apparaissent les points nœuds.
- Dois je devenir le sujet d’un devoir qui m’est proposé ? Car ce Je qui doit « advenir Là où c’était », ce quelque chose que l’analyse nous apprend à mesurer, ce Je n’est pas autre chose que ce dont nous avons déjà la racine dans ce je qui s’interroge sur ce qu’il veut. Il n’est pas seulement interrogé quand il avance dans son expérience, cette question il la pose précisément à l’endroit des impératifs souvent étrangers, paradoxaux, cruels qui lui sont proposés par son expérience morbide.
- Va-t-il ou non se soumettre à ce devoir ?
- Doit il se soumettre à ce devoir qu’il sent en lui comme étranger ? Il va s’y « faufiler » en s’appuyant « contre » parce qu’il est possédé d’un désir plus fort, en tant que c’est au moins un des points d’amarre, de fixation par détachement de l’automatisme de répétition, désir de mort mêlé à l’amour, en tant que l’amour ne peut se poser que dans cet au delà où d’abord il renonce à son objet.

Dans cet énoncé de Freud « Là où c’était je dois devenir », le sujet est au bord de cette nomination défaillante, et il est au point où il subit au maximum, à ce point d’acmé, la virulence du logos, pour autant qu’il se rencontre avec le point suprême de l’effet aliénant de son implication dans le logos, et il faut qu’il le soutienne réellement, qu’il le soutienne de son réel, de lui en tant que réel, c’est à dire aussi bien de ce qui lui reste toujours le plus mystérieux, et ce réel mérite d’être nommé comme de l’ordre de l’être, puisque c’est déjà quelque chose qui se pose comme un réel articulé dans une chaîne signifiante.

L’Analyste s’autorise de lui même et de quelques autres.

Où il aura à trouver la certitude de son acte de la béance qui lui fait défaut, car il doit payer quelque chose pour tenir sa fonction, et c’est à la mesure de ses faiblesses qu’il se montrera digne de la tenir, en la payant d’un jugement qui concerne son action. C’est un jugement d’autant plus difficile que par un certain côté il y a une part de son action qui lui reste à lui même voilée.

Dans un premier temps il fait l’analyste au sens de le fabriquer, d’où l’importance des entretiens préliminaires et des contrôles qu’il repère comme une véritable nécessité logique, pas seulement parce qu’il éprouve quelque angoisse avec ses patients, mais aussi parce qu’il ne peut s’autoriser de l’être, ce qui lui rend très sensible cette position de porte à faux qui est une dimension commune de l’acte de ne pas comporter dans son instant la présence du sujet ;

Dans un deuxième temps il découvre que dans l’acte même il est tout seul, à répondre de ses effets comme analyste, sans circonstances atténuantes, sans pardon mais non sans recours.
- Que ses effets il a à les théoriser pour que sa pratique ne reste pas un délire à deux, car il est l’agent d’un savoir qui le dépasse et dont il sait : « Que c’est ce savoir qui n’est pas portable, de ce que nul savoir ne puisse être porté d’un seul. D’où son association à ceux qui ne partagent avec lui ce savoir qu’à ne pouvoir l’échanger » [3].


(1) Les Quatre concepts de la psychanalyse.

(2) « Problèmes cruciaux pour la psychanalyse ». Le 16 juin 1965.

(3) LACAN. Scilicet.


Patrick Valas : La transmission de la psychanalyse. Publié dans le volume préparatoire, Arguments, pour le IXe congrès de l’École Freudienne de Paris. 6-7-8 juillet 1978.


Commentaires  Forum fermé

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Transmission de la psychanalyse
samedi 16 juillet 2011 à 17h02 - par  Kaisa Azriouli

Alors, le moment lacanien devient ici comme la perte d´intimite et en sens la comprehension en doute ?

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mardi 27 septembre 2011 à 11h18 - par  P. Valas

Vous allez continuer à me faire chier longtemps avec vos innombrables commentaires débiles que vous n’avez pas le courage de signer de votre nom propre ?

mardi 27 septembre 2011 à 09h45 - par  zmnCyEOCeslXucshYF

I might be baetnig a dead horse, but thank you for posting this !

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