Daniel Pendanx : Le père, encore.

jeudi 14 novembre 2019
par  P. Valas

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Le père, encore par Daniel Pendanx.
[Ce texte a été publié, dans une version raccourcie et un peu différente, sur le site de Causeur, sous un intitulé (Au nom du père) donné par les responsables du site, qui y ont également ajouté une phrase d’introduction qui ne me convient guère. Contre mon souhait je m’y trouve aussi présenté comme psychanalyste.
Titre que j’estime devoir être réservé à ceux qui exercent cette fonction médiane très singulière (leur art d’interprète) dans le cadre délimité de la cure – cadre réservé, au plan non juridique de la parole, à la clinique du fantasme et du transfert.]
[Ce texte a été publié, dans une version raccourcie et un peu différente, sur le site de Causeur, sous un intitulé (Au nom du père) donné par les responsables du site, qui y ont également ajouté une phrase d’introduction qui ne me convient guère. Contre mon souhait je m’y trouve aussi présenté comme psychanalyste. Titre que j’estime devoir être réservé à ceux qui exercent cette fonction médiane très singulière (leur art d’interprète) dans le cadre délimité de la cure – cadre réservé, au plan non juridique de la parole, à la clinique du fantasme et du transfert.]

En l’état de l’opinion, et des faiblesses du politique, le cours de la réforme insensée du droit civil ne saurait être arrêté, retourné. Les carottes sont cuites, et les prochains épisodes déjà sur la table. Le débat va peut-être s’estomper, ce qui ne devrait pas empêcher de maintenir ouverte une réflexion qui ne concède rien aux simplifications et confusions ordinaires en la matière, celle de l’institution du sujet de la parole.
Un refoulement commun.
Si l’argumentaire progressiste et égalitariste sous lequel opère la déconstruction des montages juridiques fondamentaux de la Filiation dénie tout à la fois l’Œdipe (= le lien inconscient irréductible d’inceste et de meurtre aux figures de la parenté, et la culpabilité associée) et, en regard de celui-ci, la fonction civilisatrice du droit, je ne vois pas que le tripot inconscient comme l’a nommé Pierre Legendre et, en regard donc de celui-ci, la fonction du juridique dans la fabrique de l’homme, soit pour autant pris en compte par les discours d’en face.
Les oppositions duelles battent leur plein, dans le plus commun refoulement de la logique prédatrice du fantasme et la plus générale méconnaissance des structures normatives langagières (juridiques et institutionnelles) qui, divisant le sujet du Pouvoir (de la toute-puissance phallique), le fonde comme tel, dans son sexe et sa génération.
Mais est-il encore possible, dans ce contexte de refoulement, de mesurer combien le familialisme new look, homoparental, visant au même effacement de la négativité (et de la culpabilité inconsciente associée), est le rejeton, l’envers masqué du vieux familialisme catholique ? N’y aurait-il pas là la découverte du fonds commun le plus refoulé, le plus irrecevable, résumé d’un trait décapant par la subtile Blanche Gardin : « … la manif pour tous, tous des pédés… » ?
Une fonction symbolique du père diversifiée, pluralisée
Au carrefour de cette liaison voilée des deux bords, il y a la question du père, celle de la dite « fonction symbolique du père ».
En septembre dernier Agnès Buzyn, répondant à une journaliste de LCP lui demandant « un père c’est une fonction symbolique, ça peut être une femme ? » affirma sur LCP qu’un père, comme fonction symbolique, « ça peut être une femme, évidemment, ça peut être une altérité qui est trouvée ailleurs dans la famille, on le voit, ça peut être des oncles, ça peut être… ». Et la journaliste d’interroger, « une grand-mère ? – une grand-mère » confirma la ministre.
De la paternité, comme fonction symbolique (expression qui mériterait pour le moins approfondissement), bien d’autres que le père biologique, tant au plan familial qu’institutionnel, comme toute mon expérience de praticien dans les sphères de la protection de l’enfance m’a conduit à le saisir, peuvent être les supports, les relais auprès de la mère et de l’enfant. Il n’y a donc pas là une thèse si absurde que ça. Il y a bien, confirmée par nombre d’observations – ne serait-ce que par le fait que bien des enfants élevés par un seul parent, la mère en règle générale, ne sont pas plus déstructurés que d’autres élevés par leurs deux parents – une fonction symbolique paternelle diversifiée, pluralisée.
Aussi, mésestimer la facture symbolique princeps du père, méconnaître que l’essentiel pour l’enfant se joue au niveau de l’identification, dépend du jeu des figures entre elles, en s’en tenant aux seuls gros sabots naturalistes (biologiques) de la parenté, ne permet guère de contrarier la façon dont nombre d’intellectuels et de politiques se servent de cette référence au « père symbolique » pour justifier la déconstruction des digues du droit civil, légitimer l’homoparentalité.
Il n’y a pas de famille monoparentale
La fonction symbolique paternelle n’est pas la propriété du seul père en titre, qui est parfois bien loin de l’exercer de façon efficiente, comme ne manquent pas là non plus de le relever les tenants du couple homoparental. Du père, officiant dans le champ de la relation imaginaire mère/enfant, il peut donc y avoir, via les tiers familiaux et institutionnels, sans qu’un père réel soit présent. Le père demeurait jusqu’alors, quelle que soit son absence réelle, symboliquement légitimé et présent, ne serait-ce que sous la catégorie civile du « père inconnu ». Sa figure, ainsi juridiquement croisée à celle de la mère, participait pour l’enfant d’une représentation fondatrice, originaire, non faussée, crédible comme dit Pierre Levy Soussan. Il y avait là une protection essentielle pour tous les enfants dont le père réel n’était pas présent : une protection symbolique qui, bien comprise, permettait de ne pas faire équivaloir l’absence de ce père à une sorte d’amputation/privation de son image fondatrice pour l’enfant. Amputation dont résonne le terme irresponsable, que j’ai parfois qualifié de « meurtrier », de famille monoparentale introduit par le sociologisme. Il n’y a pas de « famille monoparentale » : il y a et il n’y a jamais eu que des familles mono-linéaires (des enfants établis dans une seule filiation) – ce qui est tout autre chose, qui résonne tout autrement pour la mère et l’enfant !
La fonction du droit
En lieu et place des lamentations sur « l’absence du père » le plus important, quant au dit « intérêt de l’enfant », serait de saisir ce qu’il en est des conditions, conditions de droit, qui président à l’exercice tiers, médian, de cette « fonction symbolique » du père (et autres substituts) auprès de la mère et de l’enfant.
On ne saurait s’opposer, sur des bases pour le coup modernes, à tous ces discours de la déconstruction usinés par des intellectuels et des psychanalystes ignorants des fondements institutionnels et juridiques du sujet, sans prendre en compte la fonction du droit en l’affaire.
Le père n’est pas réductible à une espèce d’essence existentielle, mais est bien d’abord une nomination, ou comme Joyce en eut la fulgurance, une fiction légale, une catégorie juridique.
Dans mon propre trajet clinicien j’ai pu souvent constater combien ceux qui voulaient tellement mettre du père dans les situations où, était-il dit, il « manquait » – espérant ainsi corriger la destinée d’enfants à l’abandon, maltraités –, étaient loin, bien loin de considérer le père comme tel. Ils en restaient le plus souvent, comme cela s’entend si communément, au « papa » : aux images d’Epinal infantilisées les plus diverses du Père idéal du roman familial… J’ai été bien placé pour observer combien il s’agissait là d’une référence régressive au père, un père inclus dans la sphère maternelle, perdant son propre statut œdipien. Il en allait déjà de sa papaïsation – judicieux néologisme forgé par Dolto, repris avec malice par Kundera dans son roman L’identité.
Ce mouvement (qu’on peut qualifier, en jargon de psychanalyse, de préœdipien, tel que Lacan en repéra l’advenue dès les années 50, dans la sphère même de la psychanalyse, cf. son entretien avec Madeleine Chapasal) s’est accompagné de la mise en orbite progressive du désir de coudre la braguette à papa (Melman), sinon de l’émasculer… C’est là ce que j’appelle le désir « féministe » de l’enfant…
De la fonction paternelle, comme fonction symbolique médiane opérant dans la relation mère/enfant, je compris, instruit par l’expérience répétée des cas et celle de la psychanalyse, qu’une femme tout aussi bien qu’un homme, tant au plan familial qu’institutionnel, pouvait être l’agent, le relais. J’observais qu’il y avait bien des couples dits hétéros disons plus homos que les homos, et parfois donc plus d’altérité conquise dans une relation homo que dans une relation hétéro – ce dont l’œuvre de Proust est un fort témoignage. Je n’étais plus de ceux qui réduisent l’homosexualité, pas davantage d’ailleurs que l’hétérosexualité, au visible, à la sexualité affichée, déclarée. L’homosexualité n’est en rien, si ce n’est sous l’étoile rose, et la folie du jour, un état réifié de la personne. Comprenant tout cela j’estimais toutefois encore, comme les tenants actuels de la déconstruction radicale et malheureusement nombre de psychanalystes (encouragés semble-t-il dans cette voie par certaines propositions de Lacan lui-même), qu’on pouvait franchir le mur du langage… La langue étant considérée, dans sa facture normative, comme fasciste…, et non saisie comme la condition de la parole et du poétique… Ce que je n’avais pas alors compris c’est en quoi cette fonction symbolique paternelle relais, que ce soit dans la scène familiale, privée, ou dans la scène institutionnelle, n’opère que sous certaines conditions de droit. Je méconnaissais en fait la condition langagière et juridique qui est celle, sous nos cieux, de l’animal parlant, et ce faisant j’occultais la fonction anthropologique du Droit. Soit le fait que la fonction symbolique paternelle n’opère de façon médiane (dans la relation mère/enfant) que d’être nouée, juridiquement nouée, à l’invariance de la Loi : à l’irréductible loi du déterminisme langagier.
Il revient à Pierre Legendre, dont l’apport reste méconnu ou circonscrit, d’avoir déployé dans son œuvre ce lien intrinsèque du symbolique et du juridique. Dès 1985 il souligna le fait qu’une « exigence ne peut être effacée : l’existence d’un cadre de légalité qui garantisse la conservation de l’espèce selon les contraintes indépassables de la différenciation humaine » (L’inestimable objet de la transmission. Étude sur le principe généalogique en Occident. Fayard, 1985, 2004, p.11).
Le juridique, dans sa vocation, aujourd’hui subvertie, de garant du cadre légal de l’identification est bien en effet, en regard de la logique des fantasmes qui gouverne l’autre scène des identifications inconscientes de tout un chacun, un relais symbolique déterminant la constitution des sujets.
S’il est donc vrai que la fonction symbolique paternelle n’est pas réductible au père en titre – argument dont Agnès Buzyn s’est faite le perroquet maladroit – l’enjeu clé, dénié par les déconstructeurs, demeure d’en relever « les contraintes indépassables ». L’exercice de cette fonction, son efficience tierce, structurante pour l’enfant, que ce soit dans l’office du père en titre ou de tous ses autres relais, n’opère que de la liaison instituée, juridiquement instituée, de la place de chacun, tant au plan familial qu’institutionnel, à la loi généalogique de la différence des sexes et des générations. C’est cette liaison fondamentale qui se trouve aujourd’hui atteinte, subvertie.
Nommer, instituer, légitimer en droit une femme à la place indue du père, ou un homme à celle, toute aussi indue, de la mère, en taillant le langage, en subvertissant le lien de dette du mot au corps, le montage anthropologique de base (nouant le corps, le mot et l’image), c’est fausser juridiquement (et donc symboliquement) le rapport de ceux-là à la Loi, en légitimant la façon dont ils viennent ainsi occuper-boucher une place qui n’est pas la leur. C’est à proprement parler une malédiction, qui aura les plus fâcheuses conséquences.
Une dernière remarque. Méconnu par les pseudo-études « scientifiques » sur le sort des enfants des dits couples homoparentaux , il convient d’observer le fait que dans toutes les situations antérieures de ces « couples de même sexe » chacun des protagonistes, institué dans la dissymétrie, se trouvait encore référé à un cadre légal non corrompu, et par là même rapporté à sa propre culpabilité subjective… La transgression n’était pas légitimée, et les enfants demeuraient ainsi liés en droit, en amont de la scène privée, à une représentation fondatrice non pervertie. Demain il n’en sera plus de même, on aura fait de ces homo-parents une nouvelle espèce d’Innocents…, et leurs enfants auront d’autant plus de mal à « tuer le Père » : à se séparer de cette double-mère authentifiée, de ce double-père légitimé, autrement dit, beaucoup de mal à s’extraire du mythe subjectif confusionnel de parents indifférenciés… D’aucuns se rattraperont du côté du narcissisme social. Mais beaucoup d’autres, et bien au-delà de ces dites « familles homoparentales », en paieront le prix, et nous le feront aussi payer.
*Daniel Pendanx, auteur de nombreux articles, dont L’impératif généalogique et la question du sexe, aujourd’hui. (Revue Conférence 24/2009), a été éducateur praticien dans la protection judiciaire de la jeunesse.

1 Cf. sur ce point les remarques de Pierre Legendre dans Dieu au miroir. Etude sur l’institution des images ; Leçons III, p. 248-249. Fayard, 1994.
2 Cf. l’ouvrage remarquable de Hélène Merlin-Kajman, La langue est-elle fasciste ? Langue, pouvoir, enseignement, Paris, Seuil, 2003.
3 Je renvoie là à la profondeur d’un verset de L’Ecclésiaste (6 – 10), relevant combien se dresser contre le déterminisme langagier engage à se tenir au lieu de l’Autre absolu, en rivalité avec la Référence… « Ce qui vient à naître a dès longtemps reçu son nom ; d’avance est déterminée la condition de l’homme ; mais il ne peut entrer en procès avec plus fort que lui. »
4 Cf. Filiation. Fondement généalogique de la psychanalyse (Leçons IV, suite 2) par Alexandra Papageorgiou-Legendre, Fayard, 1996.


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