Patrick Valas, La fin de l’analyse

samedi 10 octobre 2015
par  P. Valas

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La fin de l’analyse.

Cet intitulé, malgré son équivoque ne signifie pas la disparition de la psychanalyse, que beaucoup de psychanalystes s’emploient à réaliser, sans parler de tous ceux qui en sont très éloignés ou qui ignorent même son existence le souhaiteraient, ceux-là on peut les compter par milliards sur la planète.
Dès son invention, Freud se pose la problématique de savoir comment dire la fin d’une analyse, soit son terme logique ?
J’irai donc au cœur même de ce qu’il en écrit, jusqu’à suggérer un dérangement non pas contingent, mais essentiel de la sexualité humaine et qu’un de ses derniers articles porte sur l’irréductibilité à toute analyse finie (endliche), des séquelles qui résultent du complexe de castration dans l’inconscient masculin, du penisneid dans l’inconscient de la femme.
En réalité il n’en reste pas là.
Si l’on se souvient qu’il a toujours affirmé que le refoulement originaire n’est jamais levé, dans son texte Die endliche und die unendliche Analyse, 1937. G.W., XVI, si mal traduit sous le titre de : Analyse terminée et analyse interminable, il va souligner que dans l’après-coup de la terminaison d’une cure il peut y avoir une modification du refoulement originaire, un petit bougé de l’Urverdrängt, à savoir ce qui de l’inconscient ne sera jamais interprété.
Ce point est resté comme une pierre d’attente inaperçue après lui, alors que c’est quelque chose d’énorme.
Comment la signifier dans notre rude langage, sinon en posant la question suivante ?
Y aurait-il une modification de la structure langagière incorporée dont l’inconscient et le symptôme noués ensemble seraient les effets ?
Impensable, même pour les philosophes de notre tradition qui ont « parcouru » jusqu’à son ultime limite la frontière entre l’être et le non-être.
Lacan vient à son heure avec sa conception de Das Ding qu’il traduit comme étant La Chose freudienne parlante, la « Crachose », en soulignant l’inadéquation des mots aux choses.
Les mots avance t’il, se moulent dans les choses, ils fêlent La Chose.
Autrement dit l’inconscient est le réel dont nous sommes affligés par le signifiant moyennant quoi « l’inconscient est structuré comme un langage », c’est un savoir dysharmonique au corps, impossible à savoir.
On retrouve la question de Freud sur la fin logique de la cure.
Lacan va s’efforcer de traduire ces termes en utilisant toutes les ressources que lui fournissent les logiques, des classiques jusqu’à la « logique élastique » en quoi consiste la topologie qui est ce qu’il y a de plus avancé selon lui de la logique mathématique (car l’inconscient est lié à la logique, pas à la grammaire dont dépendent les pulsions).
Il reprend donc les traductions du texte de Freud les plus courantes :
Analyse terminée et analyse interminable, l’analyse finie et l’analyse indéfinie (finitude-infinitude), continu et discontinu, etc.
Mais il va y introduire du nouveau à savoir, le tout, le pas-tout, les rapports entre le nécessaire, la contingence, l’exception, l’impossible, l’indémontrable, l’indécidable, l’incalculables, l’entre–deux, etc., bref toutes les formalisations de la complétude et à l’incomplétude.
Il veut parvenir à trancher ou au moins à délinéer ce que serait le terme logique d’une cure analytique.
Ce qui le pousse, n’est pas qu’il en a marre d’une pratique qu’il considère comme « épouvantable », voire une « escroquerie, mais pas n’importe laquelle », d’autant plus qu’il avance à l’encontre de Freud que l’analyse ne consiste pas pour le sujet à être débarrassé de son « Sinthome » (terme dont l’usage sera explicité par moi ailleurs), au mieux pourra t’il en s’identifiant apprendre à « savoir-y-faire avec », car il s’agit de bien autre chose comme un moment spécifique de la structure.
La voie qu’il emprunte est celle du passage de l’analysant au devenir analyste.
Il a déjà commencé à articuler ce que serait « le désir de l’analyste », qui n’est pas un « désir pur » mais le désir de trouver « la différence absolue », celle qui fait de nous qui ne le savons pas des « uns chacun », radicalement Autre pour les autres.
Toutes les cures ne produisent pas forcément « un analyste », soit quelqu’un qui aurait franchi le Rubicon, ce qui le rendrait différent et de façon irréversible de ce qu’il était avant.
C’est ma façon de traduire ce fameux « bougé de la structure » dont Freud parle concernant le devenir de l’Urverdrängt.
Cela n’invalide pas que des sujets puissent y parvenir dans leur vie sans passer par une analyse, contrairement à ce pensent certains analystes qui se veulent les propriétaires
exclusifs du Zuiderzee asséché.
Lacan invente alors en tâtonnant une procédure dite de « La passe » qui permettrait d’authentifier, puisque c’est indémontrable, qu’il y a bien eu pour un sujet qui se prête à l’emprunter en témoignant de ce qui lui arrive pour permettre à d’autres d’avoir un aperçu, même fugace de ce franchissement justement au moment où il se produit.
Pour conclure ce trop bref exposé sur une question aussi cruciale pour la psychanalyse :
Un analysant qui estime être au terme de sa pérégrination analytique, il en a le signe (Lacan définit le signe comme ce qui représente quelque chose de très particulier pour quelqu’un, il l’éprouve par des manifestations qui surgissent en lui inouïes et inédites, dans le cours de sa vie), « ça ne trompe pas », reste à le faire « authentifier »s’il le veut bien, car nul ne peut y être obligé.
L’authentification, comme toute authentification, ne peut être que validée que par des autres.
Aussi l’institution qui pratique cette procédure offre à cet analysant devenu « passant », la possibilité d’aller parler à deux témoins, soit des passeurs tirés au sort dans un chapeau (les passeurs sont des analysants « désignés » par leur propre analystes qui « pensent » être dans ce moment de subversion dans leur cure).
À la suite d’entretiens menés à la guise du couplage passant-passeurs, l’un estime qu’il en a assez dit sur l’épreuve qu’il traverse et les autres qu’ils en ont suffisamment entendu sur lui, on s’accorde que le temps est venu pour les passeurs de se présenter à la barre « du tribunal « fictif de l’Autre pour plaider la cause du désir de leur passant.
Y siègent d’autres analystes qui en sont le tenant-lieu de cet Autre qui n’existe pas, même si on ne se débarrasse pas de sa vérité et de son savoir, lequel va trancher par un oui ou un non apophantique pour le sujet de l’authentification, même si le « jury a des arguments pour le faire – ce qui est souhaitable.
C’est un pari, livré pour une certaine part à la fortune.
Lacan le dit en ces termes
« …nous pourrions bien n’y avoir affaire que dans le noir.
Comment reconnaîtrions- nous, dans le noir, que c’est un noeud borroméen ?
C’est de cela qu’il s’agit dans la Passe.
Qu’est-ce que ça peut vouloir dire, sinon d’objectiver l’inconscient, à ceci près que l’objectivation de l’inconscient nécessite un redoublement, à savoir que « je sais qu’il sait que je sais qu’il sait » (jl, in L’insu…15/0201977.
D’où la formule testament de Freud en la 31o de ses Neue Vorlesungen : « Wo Es war’ s oïl Ich werden. »
Patrick Valas le 10 octobre 2015.