Jean Guir, SUR LES PHÉNOMÈNES PSYCHO-SOMATIQUES.

vendredi 23 octobre 2015
par  P. Valas

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SUR LES PHÉNOMÈNES PSYCHO-SOMATIQUES
Jean Guir
Les phénomènes psycho-somatiques posent autant d’embarras au médecin qu’au psychanalyste. Le problème est de savoir ce que peut apporter ce dernier aux patients atteints de tels phénomènes.
Dans le champ médical, ces affections apparaissent d’une étio-pathogénie imprécise : il n’y a que rarement un traitement spécifique. Les lésions sont multiples quant à l’histologie. Il existe pour quelques affections une relation avec le système HLA et avec le système auto-immunitaire. On a évoqué une notion de terrain génétique mais il est impossible à l’heure actuelle d’établir un système de transmission héréditaire précis.
Ce que nous pensons est que certains signifiants du sujet au cours de sa vie mettent à jour le fonctionnement d’un gêne ou d’une batterie de gênes qui seront responsables des manifestations lésionnelles. Apparaîtra durant la vie du sujet un ou plusieurs phénotypes nouveaux.
Dans le champ psychanalytique, Lacan a avancé plusieurs assertions (cf. Séminaire II et XI).
• Ces phénomènes se situent en dehors du registre des structures névrotiques, et sont concernés par le réel. Cela nous amène à différen-cier le phénomène psycho-somatique de la conversion hystérique. D’ailleurs, deux traits au moins les distinguent : le phénomène psycho-somatique comporte une lésion et lorsque cette lésion est réver-sible, elle ne l’est jamais instantanément, contrairement à la conversion hystérique qui peut être amendée immédiatement par une interprétation.
• Lacan parle aussi d’auto-érotisme sans relation à l’objet. Il précise également que l’induction signifiante au niveau du sujet s’est passée d’une façon qui ne met pas en jeu l’aphanisis du sujet. Il semble que pour ces phénomènes certains signifiants restent bloqués et ne puissent se raccrocher à d’autres signifiants, ce qui n’entraîne pas l’effet d’aphanisis du sujet. Il y a, en quelque sorte, une gélifïcation du signifiant dans le corps du sujet, un court-circuit qui sera responsable des manifestations lésionnelles.
• Lacan avance également, pour mieux comprendre ces phénomènes,
SUR LES PHENOMENES PSYCHOSOMATIQUES
l’expérience du chien de Pavlov : ce chien est concerné dans un be-soin (alimentaire, par exemple) sous la pression de signifiants donnés par l’expérimentateur. Ce chien n’a aucune espèce d’idée du désir de l’expérimentateur. Il répond aux stimuli par une fonction physiologi¬que impliquée dans le besoin. A la limite, on pourrait dire que pour certains signifiants imposés au sujet psycho-somatique, celui-ci va ré¬pondre dans le domaine du besoin, ce qui va nous ramener à sa situa¬tion de bébé dépendant de la mère, où le désir et le besoin peuvent se confondre. En quelque sorte, il n’y a plus de dialectique du sujet.
Nous parlons ici de phénomènes psycho-somatiques et non pas de symptômes, car le symptôme a un statut bien particulier et spéci-fique dans le champ psychanalytique. Tout le problème — et c’est un problème éthique ! — se pose ainsi : que faire avec les patients qui présentent de tels phénomènes ?
LES ENTRETIENS PRELIMINAIRES
Nous pensons que certaines personnes peuvent bénéficier d’une cure analytique. Cela nous amène à la question capitale des entretiens préliminaires qui sont un moyen de repérage symbolique pour le sujet par rapport à l’affection qui, trop souvent, l’envahit massivement.
Il ne faut pas perdre de vue que ces sujets viennent à l’analyse en désespoir de cause, ayant épuisé tout l’arsenal médical. Ces entre-tiens préliminaires sont des préalables posés avec ces patients à l’éventuelle mise en place d’un travail analytique (ce travail est d’ail-leurs bien souvent effectué avec beaucoup de finesse et de pertinence parle médecin traitant).
Le diagnostic médical de l’affection et des différents traitements envisagés jusqu’alors doivent être connus avec précision. Il est évident que l’analyste informe également son patient qu’il s’abstiendra de toute thérapeutique médicale au cours de la cure. Il s’agit de se renseigner sur le passé médical du sujet.
Il y a des choses assez simples. Par exemple, un sujet qui présente de l’asthme — s’il a autrefois présenté de l’eczéma —, la seule localisation de l’eczéma renseignera sur les signifiants de l’asthme.
Il y a une chose qui a l’air banal mais qui est très intéressante, c’est le nom des médicaments, surtout lorsque le choix du patient est possible, c’est-à-dire lorsque le patient peut choisir le médicament qui lui convient. Cela revêt une grande importance : à son insu, le sujet ingère les signifiants qui ont un rapport direct avec l’origine de son affection. Ceci a peut-être à voir avec l’identification primaire orale.
D’ailleurs, soit dit entre parenthèses, les succès quelquefois spec¬taculaires de l’homéopathie sont à mettre en rapport avec le nom et
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le chiffrage de la posologie qui renvoient à des signifiants particuliers du sujet.
Il arrive aussi que certains sujets, au début de leur analyse, évo-quent dans des rêves des noms inconnus de médicaments, qui met-tront l’analyste sur des pistes intéressantes.
De plus, l’intolérance, non justifiée pharmacologiquement, à certains médicaments au cours d’un traitement médical est également à prendre en compte.
Nous demandons également au patient d’essayer de donner une explication naturelle de sa maladie. Nous le dissuadons d’une théorie forgée ou rapportée par le corps médical, mais nous lui demandons de donner sa théorie propre, même si elle semble délirante ou naïve : là, on peut rencontrer des thèmes mythiques variés, comme une idée d’alimentation toxique, d’auto-engendrement, de conception particulière, etc. Après quelques résistances, le patient accepte et fournit le matériel signifiant qui sera repris en son temps.
Pour les enfants atteints d’affections très graves, le phantasme des parents ou même des grand-parents sur l’origine de la maladie est également évocateur.
Ces phantasmes autour de la maladie seront repris plus tard en analyse : ils vont varier et nous pourrons les situer plus facilement par rapport à la vraie situation œdipienne du sujet.
Tout de suite après cette investigation sur l’origine naturelle de la maladie, il est très utile de demander aux patients un rêve ou un fragment de rêve, quel qu’il soit. D’autres signifiants apparaîtront, connectés au premier.
Les événements qui ont précédé l’affection doivent être examinés avec minutie et précision (date, alimentation, personnes impli-quées, le nom des lieux, les rêves…).
La pratique montre également que, très souvent, avant l’appari-tion de la lésion, des phénomènes bizarres ont eu lieu : par exemple, des troubles très légers de la vue, de l’ouïe, voire même un épisode délirant.
Lorsque l’affection est chronique, il faudra cerner les circons-tances précises des rémissions et des reprises du processus et, pour certaines maladies, étudier la mouvance des localisations.
Pour les phénomènes psycho-somatiques graves, il y a lieu d’en chercher un autre, moins dramatique, sur le corps du sujet. Bien souvent, les deux affections forment un ensemble et le travail est plus aisé.
Dans les cas d’ablation d’organe, l’apparition au lieu ou au voisinage de la cicatrice d’autres lésions psycho-somatiques est à étudier.
Vu l’importance de la troisième, voire de la quatrième généra-tion dans ces affections, la mise en place prudente d’un arbre généa-logique, même primaire, permet de situer le sujet dans sa fratrie et de
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l’expérience du chien de Pavlov : ce chien est concerné dans un besoin (alimentaire, par exemple) sous la pression de signifiants donnés par l’expérimentateur. Ce chien n’a aucune espèce d’idée du désir de l’expérimentateur. Il répond aux stimuli par une fonction physiologique impliquée dans le besoin. A la limite, on pourrait dire que pour certains signifiants imposés au sujet psycho-somatique, celui-ci va répondre dans le domaine du besoin, ce qui va nous ramener à sa situation de bébé dépendant de la mère, où le désir et le besoin peuvent se confondre. En quelque sorte, il n’y a plus de dialectique du sujet.
Nous parlons ici de phénomènes psycho-somatiques et non pas de symptômes, car le symptôme a un statut bien particulier et spécifique dans le champ psychanalytique. Tout le problème — et c’est un problème éthique ! — se pose ainsi : que faire avec les patients qui présentent de tels phénomènes ?
LES ENTRETIENS PRELIMINAIRES
Nous pensons que certaines personnes peuvent bénéficier d’une cure analytique. Cela nous amène à la question capitale des entretiens préliminaires qui sont un moyen de repérage symbolique pour le sujet par rapport à l’affection qui, trop souvent, l’envahit massive¬ment.
Il ne faut pas perdre de vue que ces sujets viennent à l’analyse en désespoir de cause, ayant épuisé tout l’arsenal médical. Ces entretiens préliminaires sont des préalables posés avec ces patients à l’éventuelle mise en place d’un travail analytique (ce travail est d’ailleurs bien souvent effectué avec beaucoup de finesse et de pertinence par le médecin traitant).
Le diagnostic médical de l’affection et des différents traitements envisagés jusqu’alors doivent être connus avec précision. Il est évident que l’analyste informe également son patient qu’il s’abstiendra de toute thérapeutique médicale au cours de la cure. Il s’agit de se ren¬seigner sur le passé médical du sujet.
Il y a des choses assez simples. Par exemple, un sujet qui présente de l’asthme — s’il a autrefois présenté de l’eczéma —, la seule localisation de l’eczéma renseignera sur les signifiants de l’asthme.
Il y a une chose qui a l’air banal mais qui est très intéressante, c’est le nom des médicaments, surtout lorsque le choix du patient est possible, c’est-à-dire lorsque le patient peut choisir le médicament qui lui convient. Cela revêt une grande importance : à son insu, le sujet ingère les signifiants qui ont un rapport direct avec l’origine de son affection. Ceci a peut-être à voir avec l’identification primaire orale.
D’ailleurs, soit dit entre parenthèses, les succès quelquefois spectaculaires de l’homéopathie sont à mettre en rapport avec le chiffrage de la posologie qui renvoient à des signifiants particuliers du sujet.
Il arrive aussi que certains sujets, au début de leur analyse, évoquent dans des rêves des noms inconnus de médicaments, qui mettront l’analyste sur des pistes intéressantes.
De plus, l’intolérance, non justifiée pharmacologiquement, à certains médicaments au cours d’un traitement médical est également à prendre en compte.
Nous demandons également au patient d’essayer de donner une explication naturelle de sa maladie. Nous le dissuadons d’une théorie forgée ou rapportée par le corps médical, mais nous lui demandons de donner sa théorie propre, même si elle semble délirante ou naïve : là, on peut rencontrer des thèmes mythiques variés, comme une idée d’alimentation toxique, d’auto-engendrement, de conception particulière, etc. Après quelques résistances, le patient accepte et fournit le matériel signifiant qui sera repris en son temps.
Pour les enfants atteints d’affections très graves, le phantasme des parents ou même des grand-parents sur l’origine de la maladie est également évocateur.
Ces phantasmes autour de la maladie seront repris plus tard en analyse : ils vont varier et nous pourrons les situer plus facilement par rapport à la vraie situation œdipienne du sujet.
Tout de suite après cette investigation sur l’origine naturelle de la maladie, il est très utile de demander aux patients un rêve ou un fragment de rêve, quel qu’il soit. D’autres signifiants apparaîtront, connectés au premier.
Les événements qui ont précédé l’affection doivent être exami¬nés avec minutie et précision (date, alimentation, personnes impliquées, le nom des lieux, les rêves…).
La pratique montre également que, très souvent, avant l’apparition de la lésion, des phénomènes bizarres ont eu lieu : par exemple, des troubles très légers de la vue, de l’ouïe, voire même un épisode délirant.
Lorsque l’affection est chronique, il faudra cerner les circonstances précises des rémissions et des reprises du processus et, pour certaines maladies, étudier la mouvance des localisations.
Pour les phénomènes psycho-somatiques graves, il y a lieu d’en chercher un autre, moins dramatique, sur le corps du sujet. Bien sou¬vent, les deux affections forment un ensemble et le travail est plus aisé.
Dans les cas d’ablation d’organe, l’apparition au lieu ou au voisi¬nage de la cicatrice d’autres lésions psycho-somatiques est à étudier.
Vu l’importance de la troisième, voire de la quatrième généra¬tion dans ces affections, la mise en place prudente d’un arbre généa¬logique, même primaire, permet de situer le sujet dans sa fratrie et de
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reconnaître déjà, dans la constellation familiale, les repères d’identi-fication. (Je pense ici au mimétisme).
Quand cela est possible et pas trop violent pour le sujet, nous demandons les noms, prénoms, dates de naissance et de mort de ses proches, ainsi que les affections dont ils ont été l’objet. Il y a tou-jours un secret familial qui, tôt ou tard, apparaîtra.
Le parrainage et le marrainage revêtent une importance spéciale dans la mise en place des vœux incestueux inconscients des parents. Les lapsus et oublis les concernant sont très évocateurs : la manière dont le sujet a été prénommé — par le père ou par la mère — est éga¬lement riche d’enseignement : la mort en bas âge de membres de la famille est également à rechercher.
Insistons sur le fait que ces renseignements ne sont pas deman-dés en bloc, mais progressivement, au cours des entretiens préliminai¬res.
Ces entretiens préliminaires doivent, à notre avis, porter sur plu¬sieurs mois, voire sur plusieurs années. Le corps à corps est donc nécessaire.
CONNEXION ENTRE BIOLOGIE ET SIGNIFIANCE
Lorsque le patient n’a plus besoin de se soutenir de l’image de l’analyste, il peut être allongé. Cela coïncide, en général, avec l’évoca¬tion de rêves qui deviennent pratiquement inanalysables en face à face.
Pour certains sujets, une grande prudence est à maintenir dans le fait de passer de la position assise à la position allongée, car la posi¬tion allongée peut évoquer l’image de la maladie et être vécue comme dangereuse. Pour ces patients, nous mettons donc en place un pool de signifiants qui seront repris ultérieurement dans l’association libre.
A ce propos, l’obtention de résultats rapides, même parcellaires, dans les premiers temps de l’analyse, montrera au sujet que le langage est opérant, et qu’il peut prendre une distance vis-à-vis de sa lésion. Progressivement, dans ces entretiens, nous essayons avec le patient de repérer ses symptômes névrotiques souvent cachés, surtout lorsqu’ils peuvent être rattachés, d’une manière ou d’une autre, a l’affection organique.
Cela entraîne un effet de distanciation et même d’oubli de la lé-sion, qui met en valeur la vraie souffrance du sujet.
Un fait particulier a retenu notre attention : dans de nombreux cas, bien avant l’éclatement du phénomène psycho-somatique, un symptôme corporel hystérique ou phobique transitoire — dans l’en-fance ou dans l’adolescence — a eu lieu à l’endroit même de cette partie du corps ou à distance, mais relié au premier par un effet de signifiant. Ce symptôme hystérique ou phobique peut réapparaître
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dans la cure ; ce sera l’occasion de l’analyser en profondeur.
Il semble que sur ce symptôme particulier — je parle du symptô¬me phobique ou hystérique — se greffe ou se lie une fonction biologi¬que particulière du corps, localement ou à distance : le signifiant est comme soudé à un ensemble physiologique particulier.
Lorsque, plus tard, ce signifiant revient, le symptôme névroti-que n’apparaît pas, mais il entretient et fait fonctionner l’organe ou l’ensemble physiologique d’une manière continue et exagérée par rap¬port à Phoméostasie du corps.
Donc un symptôme a eu lieu à un moment donné dans la vie du sujet ; celui-ci est connecté par voie de signifiance à une zone du corps en état d’activité particulière dans l’histoire du développement biologique ou dans les fonctions homéostasiques de l’individu. Le re¬tour de ces signifiants privilégiera ces fonctions, qui deviendront pra¬tiquement autonomes en entraînant des lésions.
Cette connexion entre un symptôme névrotique et une fonction physiologique établit le passage entre le désir de l’Autre et la jouis-sance du corps de l’Autre (qui est impossible).
C’est à ce point d’articulation qu’il y a lieu d’intervenir.
Il semble que le signifiant impose à un moment donné une autre hiérarchie des fonctions biologiques du corps, mettant à nu de nou¬veaux phénotypes du corps : réponses inadaptées à une défaillance du langage qui, en fait, porte sur les zones les moins spécialisées du système nerveux. Cette interaction du signifiant sur les organes qui vont répondre par des manifestations phylogénétiques ou embryolo¬giques antérieures est peut-être justement la démonstration — l’une des démonstrations — de ce que le langage n’est pas un organe.
LE DECLENCHEMENT DE L’AFFECTION PSYCHOSOMATIQUE
Après la question des entretiens préliminaires et ces quelques points théoriques, abordons ce que nous livre l’histoire de ces pa-tients.
La dynamique de ces affections montre souvent un déroulement en trois temps :
• dans un premier temps, il y a une séparation brutale d’avec un être cher dans l’enfance ;
• dans un second temps, il y a répétition de cette séparation par les faits eux-mêmes ou par un jeu de signifiants particuliers ;
• dans un troisième temps, il y a apparition de la lésion souvent moins d’un an après le deuxième temps.
La séparation repérée dans l’enfance se situe justement très sou¬vent au moment du nourrissage. A la demande de l’Autre, le sujet ne répond pas par un désir mais par un besoin. Ce besoin est alors dé¬clenché et « alimenté » par les signifiants imposés par l’Autre. Ce qui
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est particulier est que le premier traumatisme semble ne pas avoir été dialectisé. L’acte de séparation laisse une empreinte comme induc-tion signifiante (le sujet ne l’a pas remarqué). Lorsqu’un réel exté-rieur lui rappelle cette empreinte non intégrée, il tombe malade.
Cela est différent de la psychose où le patient ne peut répondre au retour dans le réel d’un signifiant forclos, qui lui fait signe d’une façon énigmatique. D’une façon plus générale, il y a répétition d’un traumatisme sous-jacent jamais assumé.
Par exemple, dans certains cas de leucémies d’enfants (LAL), nous avons observé que la mise à jour du processus leucémique se fait curieusement — et sans doute pas par hasard — au moment de la naissance d’un autre enfant dans la famille. Les coordonnées signi¬fiantes de cette naissance vont dévoiler l’absence d’ancrage symboli¬que du sujet dans sa lignée. Elles ravivent chez cet enfant une souf¬france qui se traduit par un besoin renouvelé de nourrissage. Il sem¬ble qu’il y ait en quelque sorte une gélification des signifiants primor¬diaux reçus des parents à la rencontre d’un événement dans le réel qui les réactualise.
Quels sont ces signifiants spéciaux qui mettent à jour le phéno-mène psycho-somatique ? Ils sont au moins de quatre ordres :
a) Le soulignage de signifiants « dataux », au sens du chiffre
II y a chez ces sujets un soulignage très particulier dans le chif-frage des événements de leur vie : un point de fixation du réel par les chiffres sur le corps propre.
Donnons des exemples :
• Dans des cas de recto-colites ulcéro-hémorragiques d’adultes que nous avons étudiés avec Noëlle Kortemme, l’éclatement du phé-nomène psycho-somatique se produisait lorsque l’enfant aîné du su-jet atteignait un âge identique à celui du patient lors de sa première séparation.
• Dans un cas de recto-colite ulcéro-hémorragique chez une petite fille, la sœur aînée atteint un âge qui est celui de l’oncle mater-nel à la naissance de la mère (cas étudié avec Mireille Estrabaud).
• Dans un cas de cancer du sein, le frère aîné a le même âge que le grand-père paternel à la naissance du père (cas étudié avec Bernard Jothy).
• Dans des cas de leucémies d’enfants (étudiés avec Françoise Philippi-Kielholz), le processus malin se déclenche au moment où un autre enfant de la famille atteint un âge qui a été celui du père dans un épisode très précis et très particulier de son histoire.
On nous a objecté que la mise en évidence de ces « signifiants da¬taux » au moment de l’éclosion de phénomènes psycho-somatiques n’avait rien de spécifique, et qu’il était toujours possible de trouver

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dans la séquence des événements familiaux un chiffrage particulier qui pourrait s’y rapporter.
N’oublions pas que ces « chiffres » sont intégrés à une constella-tion d’autres signifiants également impliqués dans Péclosion du phé-nomène psycho-somatique. C’est de la cristallisation de ces signifiants que le sujet va souffrir à un moment donné de son histoire.
Il y a « événement structural » qui ne s’explique que par la cohé-rence interne et les liens privilégiés qu’entre tiennent entre eux les dif¬férents paramètres responsables de l’émergence du phénomène psy¬cho-somatique. Le corps répond dans un effet d’après-coup à un agencement particulier de ces signifiants.
b) ravalement du nom propre
Ce qui caractérise le nom propre est sa structure stable dans tou¬tes les langues, au-delà de la phonétisation. (C’est cette propriété qui a permis à Champollion de découvrir le sens des hiéroglyphes en re¬pérant d’abord les noms propres du fait de leurs écritures semblables dans les langues voisines qu’il connaissait).
Dans les phénomènes psycho-somatiques, il semble qu’il y ait une dégradation, une désacralisation du nom propre, un ravalement de celui-ci dans une lecture courante qui va démasquer le sujet. Son-geons à l’effet troublant et pénible qui surgit chez chacun d’entre nous lorsqu’on écorche notre nom. Le prénom aura également son importance.
• Dans beaucoup de cas, le nom propre et le prénom vont faire écho à des signifiants de lieux impartis dans le déclenchement des phénomènes psycho-somatiques. Ainsi, M. Dupont va traverser un pont peu avant le déclenchement d’une lésion organique. (Remar-quons que dans une autre langue, par exemple en anglais, la réso-nance est différente : M. Dupont walks across thé bridge.}
• Peu avant l’établissement d’un cancer du sein, une femme fait un épisode délirant, avenue des Champs-Elysées : Aven et Êlysé ren¬voient la patiente à son nom propre et à son prénom.
• Dans les phénomènes allergiques, le nom de l’allergène est bien souvent métaphorique du nom du sujet.
• D’autre part, et cela est étonnant, il arrive fréquemment que le nom propre contienne en partie l’appellation de l’organe atteint.
Il semble donc que le sujet soit destitué de son nom propre et qu’il se résigne par une nouvelle identité corporelle.
Le problème du nom propre a été évoqué par Lacan, en particu¬lier dans son séminaire sur le Sinthome. Si, pour Joyce, un artifice spécial d’écriture lui permettait de se faire un nom, de parer ainsi à la carence des noms du père, on pourrait peut-être avancer que pour le sujet présentant des phénomènes psycho-somatiques, un artifice de
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ce genre n’a pas eu lieu. Je vous indique cela parce que Joyce souf-frait d’accidents occulaires lorsqu’il n’écrivait pas.
c) Dans la pratique clinique, nous nous apercevons aussi qu’il a existé pour le sujet une obligation d’être du sexe opposé.
Cette injonction « sois un homme » ou « sois une femme » donnera une place privilégiée aux signifiants homme ou femme. Cela est différent de la problématique hystérique dont Lacan parle : « Suis-je un hom¬me ou une femme ? ».
A cette demande de produire un nouveau sexe biologique, le su¬jet répond par la jouissance d’un organe (auto-érotisme), à prendre dans le sens de la souffrance qu’il met à la disposition de l’Autre à son insu.
Il s’agit pour lui, par une réponse aberrante, de se transsexuali-ser à l’aide d’un morceau de corps qui, dans le phantasme, corres-pond à ce changement obligatoire de sexe.
d) Holophrases
Lorsque le sujet au cours des entretiens préliminaires ou au cours de l’analyse abordera l’explication « naturelle » de sa maladie, il mettra en place des signifiants qui sont impartis dans le déclenche-ment du processus.
Bien souvent, l’émergence de ces signifiants dans le discours se retrouve curieusement dans des holophrases.
LOCALISATION TOPOGRAPHIQUE
Nous allons aborder maintenant le problème si difficile de la lo¬calisation topographique des phénomènes psycho-somatiques.
Dans de nombreux cas, les localisations anatomiques atteintes renvoient, dans un enchaînement mimétique encore non résolu, au corps d’un membre de la famille ou du conjoint.
La zone corporelle remaniée par la lésion appelle, invoque un autre corps, qui présente au même endroit une marque repérable.
Quelquefois, la zone du corps de l’autre ne présente rien de visi¬ble, mais nous apprenons dans le discours du patient que cette partie du corps aurait pu être mutilée ou enlevée.
Ce mimétisme particulier n’est presque jamais en miroir. Une lé¬sion droite renverra à une lésion droite (idem gauche/gauche).
L’inscription corporelle retrace en définitive l’histoire du corps d’un autre. Fréquemment, il y a polymimétisme (par exemple, pour les phénomènes psycho-somatiques au niveau de la peau) : le sujet se fait représentant organique d’une histoire des corps de sa lignée, en
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écho à l’inscription aberrante des signifiants de sa filiation.
L’organe atteint fonctionne comme un organe volé à un autre, et tente de jouir comme s’il appartenait à cet autre. Greffe imaginaire dont l’implantation forcée crée des lésions qui expriment l’impossibi-lité de pénétrer dans la jouissance du corps de l’autre.
Voir, respirer, digérer avec l’œil, l’arbre respiratoire ou le tube digestif de son parent entraîne une pathologie des organes en ques-tion. Le sujet atteint d’un trouble psycho-somatique fonctionne donc avec un morceau du corps de l’autre.
L’expérience clinique prouve que l’objet du mime est souvent une personne dont justement le sujet a été séparé dans l’enfance. Cet¬te personne est souvent un grand-père ou une grand-mère. Le sujet va être contraint de s’y apparenter : le phénotype apporté par la lésion psycho-somatique sous forme de lambeaux d’écriture de chair l’iden¬tifiera à cette personne.
Il y a là peut-être un parallèle à faire avec l’éthologie animale où l’imaginaire fonctionne de telle façon qu’il y a chez les animaux des repérages de signes, des images, qui les font se reconnaître.
Cet apparentement quasi organique du patient à un autre sujet de la famille, bien souvent un grand-père ou une grand-mère, sera soutenu et entretenu par deux autres faits que l’on rencontre dans la clinique :
1) Le père ou la mère du sujet, dans leurs vœux incestueux avec leurs propres parents — donc les grand-parents du sujet —, consolide¬ront cette place et, par un retournement de génération, le patient est mis en demeure d’être le géniteur de ses propres parents. Le conjoint du patient, par les signifiants qu’il représente, renforcera aussi cette position insoutenable.
2) Bien souvent, au cours de la cure, nous apprenons qu’il y a séduction, voire jeux sexuels du sujet avec un des ses grand-parents. Ces faits détruisent encore le repérage symbolique du sujet dans sa lignée.
FONCTION DE LA PULSION SCOPIQUE
Je voudrais maintenant aborder quelques traits des phénomènes psycho-somatique s interrogeant la pulsion scopique. Dans certaines affections de la peau (psoriasis, vitiligo, par exemple), il semble que la tâche cutanée a pour effet d’attirer et de fixer l’attention de l’en-tourage tout en permettant au sujet d’observer les autres le regar¬dant. Fonction de leurre et point de focalisation, à la limite de tâche « aveuglante » pour l’autre, la marque cutanée permet d’éviter le croi-sement des regards et assure au porteur de l’affection une maîtrise sur l’image de l’autre.
Précisons, après enquête auprès des dermatologues, que les aveu-
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gles de naissance sont pratiquement indemnes de ce genre d’affec-tions…
Le passage de l’eczéma à l’asthme s’expliquera par une perte oc¬casionnelle de cette fonction de leurre.
Puisque nous parlons de la fonction scopique, remarquons qu’étrangement l’eczéma du nourrisson se situe pendant la période du stade du miroir (approximativement entre 3 et 18 mois).
Un autre point qui mérite d’être souligné : il existe deux dangers dans la cure qui peuvent aggraver ou faire éclore un phénomène psycho-somatique :
1) L’analyste court-circuite le vrai discours de l’analysant en s’intéressant à une autre personne de sa famille ou de son entourage (par exemple, l’objet du mime). Cette fausse manœuvre peut pro-duire des effets organiques sur le patient.
2) L’analyste devient l’objet du mime et « refile » en quelque sorte une partie de son corps à son analysant qui va somatiser.
AUTRES QUESTIONS
Bien d’autres problèmes théoriques et pratiques sont soulevés par les phénomènes psycho-somatiques :
Puisqu’il y a manque d’aphanisis du sujet, quel est le statut de la Vorstellungs-Reprâsentanz de l’Urverdràngung chez celui-ci ?
En corollaire, l’ombilic du rêve chez ces sujets présente-t-il quelque chose de particulier ?
Quel est le rapport de ces phénomènes avec la jouissance « sup-plémentaire » de la femme ?
EN RÉSUMÉ
Les phénomènes psycho-somatiques nous renvoient moins à l’origine qu’à la question de l’émergence du langage chez le sujet. Trace du réel, la lésion psycho-somatique est un poinçon corporel de l’histoire familiale.
Elle transforme, pour un sujet, son appartenance symbolique à la lignée en une sorte de filiation quasi-organique. Aux failles du langage en certains endroits du discours, le corps répond d’une cer-taine façon : la nature et la localisation de ces phénomènes chez le sujet révéleront les vraies structures élémentaires de la parenté au sein de la famille.
Ces phénomènes devraient pouvoir donner une lumière nouvelle sur la manière dont le langage cohabite avec le corps, puisqu’il semble tout de même que, chez ceux qui souffrent d’affections psycho¬somatiques, sont opérants des gênes latents, qui sont justement mis en activité par les signifiants propres et spécifiques du sujet.
La complexité et, quelquefois, la gravité de ces phénomènes ne doivent pas être un obstacle à la cure analytique.
17 novembre 1981.
Jean Guir : Sur les phénomènes psycho-somatiques. In Analytica no 29. Navarin-Éditeur/Seuil diffusion. Paris 1982.


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