Françoise Gorog, notes sur les présentations de Lacan à Sainte-Anne

jeudi 8 novembre 2018
par  P. Valas

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Françoise Gorog, notes sur les présentations de Lacan à Sainte-Anne.

Au moment de la création du Collège clinique de Paris, j’ai voulu relire le texte des quelques présentations de malades, faites par Lacan à Sainte Anne, dont je dispose( année 1976 ).
J’ai souhaité les évoquer pour vous à Rio puisqu’il s’agit, avec les textes, et avec la cure d’un mode de transmission.

La présentation de malades de Jacques Lacan a contribué à part entièreà l’enseignement dispensé à l’ensemble de ses élèves de la communauté lacanienne.

Pour y avoir assisté et après en avoir relu un bout, je suis frappée d’y retrouver, mis en acte, les points les plus classiques de l’abord lacanien des psychoses.
Tout d’abord, j’y retrouve ce que lui-même a appelé la douceur de son approche.
Son naturel frappait, il ne se faisait pas « plus semblant que nature », ni ne se sentait « obligé à se pousserdu col ».
Rien n’y évoquait le magister de la mise en scène des présentations de malades de la psychiatrie aliéniste.Rien n’y évoquait, non plus, la pratique samaritaine, encore si présente dans ces années-là.
Celui qui avait dit, dans cette même conférence de Rome, le premier novembre 1974, que la charité « c’est l’archi-raté », celui-ci, à Sainte-Anne, décharitait.
Comme le saint ne fait pas la charité, Lacan, le psychanalyste, à l’hôpital ne fait pas la charité.
Comme il l’écrit dans le texte de sa Télévision, le saint, « plutôt se met-il à faire le déchet : il décharite, ce pour réaliser ce que la structure impose, à savoir permettre au sujet, au sujet de l’inconscient, de le prendrepour cause de son désir » - Notons que cette position de l’analyste ne va pas de soi avec un sujet psychotique.
En tout cas, pour le saint, Lacan note quant à sa jouissance : « Il n’y a que le saint qui reste sec, macache pour lui ».
A l’opposé de l’arrogance du magister et loin de l’empathie de l’anti-psychiatre, tel Freud docile à l’hystérique, Lacan manifestait une « soumission entière aux positions proprement subjectives du malade ».
Une formule telle que : « Je peux dire ça comme ça » intercalée ausein de la phrase « est-ce qu’il y a un moment où vous vous sentiez comme hypnotisée ? » en témoigne.Rien par contre ne laisse trace d’un forçage qui « à réduire ( ces positions ) dans le dialogue au processus morbide » renforcerait « la difficulté de les pénétrer d’une réticence non sans fondements chez le sujet ».
Cette soumission est qualifiée d’avertie dans la même phrase de « D’une question préliminaire » d’où j’extrais ces quelques termes. Il ne s’agissait pas d’une ignorance du savoir acquis sur la psychose, y compris celui de la clinique psychiatrique classique dont sescollègues psychiatres français lui reconnaissaient une maîtrise incontestée.Il s’agissait de « la docte ignorance » qui savait se priver du savoir établi pour laisser surgir la surprise d’un savoir pas-tout.Malgré cela, il était frappant d’observer l’obstination du clinicien à la recherche de la certitude qu’il distinguera de la conviction : « Vous êtes sûr de cela ? » puis « vous en êtes sûr ou pas sûr ? » et encore « vous en êtes très sûr ? Là comme ça, dur comme fer, vous en êtes sûr".
Après avoir vérifié l’absolu de la certitude.
Comme la détermination de Freud dans la recherche du réel de la scène primitive de l’Homme aux loups, l’entêtement de Lacan dans l’établissement de la certitude du sujet « présenté » signait le désir de l’analyste.L’insistance à faire répéter n’était pas sans évoquer l’insistance de la chaîne signifiante par laquelle il avait abordé l’automatisme de répétition dans son séminaire sur le Moi, en 1954- 1955.
Elle me semblait du même registre que son « Dites, dites, dites encore… » dans la cure.
Le dire du psychotique s’en trouvait légitimé, bien autrement que dans un entretien psychiatrique.
L’accusé de réception était souvent un simple hochement de tête mais parfois un éclat de rire, qui rappelait le passage au mot d’esprit du lapsus .

L’auditoire, cette dritte Person, tel que Freud l’avait dit nécessaire pour le mot d’esprit, inquiétait un peu le patient.

A la question qui surgissait de la bouche du patient : « Qui sont ces personnes ? » dans l’amphithéâtre Magnan, Lacan répondait : « Ce sont des gens choisis », des qui sont là au titre de l’heresis, en somme du choix de leur désir, éprouvé par quelque autre.
Il ne disait pas « ce sont des étudiants au titre du discours universitaire, ni des docteurs admis au titre du discours du maître. En somme, il ne mettait pas en avant leurs qualités d’ »astudés « terme que Colette Soler nous a si opportunément rappelé à Rio ni leurs qualités de membres du » cervice « , écriture qu’il suggéra pour désigner le service hospitalier dans son rapport avec le joug. Par contre, il précisait souvent : » ces personnes s’intéressent à ce quivous arrive « , malgré la pente érotomaniaque du possible transfert psychotique, qu’il avait si bien éclairée.
S’intéresser n’était pas comprendre .

Comprendre, sans fonder cette "comprenette" en raison, faisait obstacle à toute chance d’expliquer.

En tout cas le ton était donné par des formules comme » il faut mettre les points sur les i « ou » enfin j’appelle les choses par leur nom « pour mettre l’accent sur la pulsion, dans les présentations comme dans une analyse de névrosé.

Lacan pouvait dire : "Nous bavardons depuis une heure et quart, ça n’est pas énorme ".

Etait-ce aussi la raison du fréquent » qu’est-ce qui vous a poussé à… ? « L’entretien était familier du fait de l’emploi de la langue vernaculaire, émaillée de » mon chou « adressée à la jeune psychotique, du même ton qu’à la femme du monde, par celui qui avait situé le »mon chou « , à l’occasion, dans les épithalames de l’amour.
Nous y sentions comment » c’est lalangue dont s’opère l’interprétation, ce qui n’empêche pas que l’inconscient soit structuré comme un langage.
Le temps passait vite pour nous mais si le patient montrait un signe de fatigue ou un brin de réticence à poursuivre, Lacan pouvait dire : "Nous bavardons depuis une heure et quart, ça n’est pas énorme ".
Laissez-les parler longtemps écrivait-il dans son séminaire sur les psychoses.
Françoise Gorog. Rio 2013


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