L’Ecclésiaste

vendredi 8 janvier 2010
par  P. Valas

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L’Ecclésiaste

Non la vie n’est pas absurde, ni vaine. Elle prend son sens du désir qui la porte et de la jouissance qu’elle comporte pour le sujet. Telle était la réponse de Lacan à l’Ecclésiaste. En version complète, traduit de l’hébreu par Louis-Isaac Lemaître de Sacy.

 

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L’Ecclésiaste

 

L’Ecclésiaste (traduction grecque de l’hébreu קהלת Qohelet, "celui qui s’adresse à la foule"), est un livre de la Bible hébraïque, faisant partie de la série des Autres Écrits, présent dans tous les canons.
L’auteur se présente en tant que "Qohelet", fils de David, et roi d’Israël à Jérusalem (1:1, 12, 16 ; 2:7, 9), sans se citer nommément. La fin du livre lui attribue également la rédaction de proverbes. Il est traditionnellement identifié à Salomon.

L’Ecclésiaste

Dans les séminaires et les Écrits de Lacan

 

L’angoisse

Leçon du 19 décembre 1962

C’est que si l’homme est tourmenté par l’irréel dans le réel, il serait tout à fait vain d’espérer s’en débarrasser pour la raison qui est ce qui, dans la conquête freudienne, est bien justement l’inquiétant, c’est que dans l’irréel, c’est le réel qui le tourmente. Son souci, Sorge, nous dit le
philosophe Martin Heidegger. Bien sûr ! Mais nous voilà bien avancés.
Est-ce là le terme dernier qu’avant de s’agiter, de parler, de se mettre au boulot, le souci est présupposé ? Qu’est-ce que ça veut dire ? Et ne voyons-nous pas que nous sommes déjà là au niveau d’un art du souci ? L’homme est évidemment un gros producteur de quelque chose qui, le concernant,
s’appelle le souci. Mais alors, j’aime mieux l’apprendre d’un livre saint, qui
est en même temps le livre le plus profanateur qui soit, qui s’appelle
L’Ecclésiaste. Je pense que je m’y référerai dans l’avenir. Cet Ecclésiaste qui
est la traduction, vous le savez, grecque, par les Septantes du terme
Qoheleth, terme unique, employé dans cette occasion, qui vient de Qahal,
assemblée, Qoheleth, en étant à la fois une forme abstraite et féministe, étant
à proprement parler la vertu assemblante, la remeutante, l’ecclesia, si on
veut, plutôt que l’Ecclésiaste.
Et qu’est-ce qu’il nous apprend, ce livre que j’ai appelé livre sacré et le
plus profane. Le Philosophe ici ne manque pas d’y trébucher, à y lire, je ne
sais plus quel écho, j’ai lu ça, épicurien ! Épicurien, parlons-en à propos de
l’Ecclésiaste ! Je sais bien qu’Épicure depuis longtemps a cessé de nous calmer,
comme c’était, vous le savez, son dessein. Mais dire que l’Ecclésiaste a
eu, un seul moment, une chance de nous produire le même effet, c’est vraiment
pour ne l’avoir jamais même entrouvert ! « Dieu me demande de
jouir », textuel dans la Bible, c’est tout de même la parole de Dieu. Et même
si ce n’est pas la parole de Dieu, pour vous, je pense que vous avez déjà
remarqué la différence totale qu’il y a du Dieu des juifs au Dieu de Platon.
Même si l’histoire chrétienne a cru devoir, à propos du Dieu des Juifs, trouver
près du Dieu de Platon sa petite évasion psychotique, il est tout de
même temps de se souvenir de la différence qu’il y a entre le Dieu, moteur
universel d’Aristote, le Dieu souverain bien, conception délirante de Platon,
et le Dieu des Juifs, c’est-à-dire un Dieu avec qui on parle, un Dieu qui vous
demande quelque chose et qui, dans l’Ecclésiaste vous ordonne Jouis. Ça,
c’est vraiment le comble ! Car jouir aux ordres, c’est quand même quelque
chose dont chacun sent que s’il y a une source, une origine de l’angoisse, elle
doit tout de même se trouver quelque part par là. A cet ordre « Jouis ! », je
ne peux répondre qu’une chose, c’est, J’ouïs.

 

L’angoisse

Leçon du 3 juillet 1963

Ici, vous devez voir déjà s’amorcer la cohérence de cette
cause avec ce fantasme, ce fantasme caractéristique d’une pensée
sorte forcée pour la spéculation humaine, de cette notion de causa
cette pensée se conforte de l’existence, quelque part, d’un être à
ne serait pas étrangère.
Compensation, fantasme, surmontement arbitraire de ceci
condition que la cause de son désir, l’être humain est d’abord
l’avoir produite dans un danger qu’il ignore. A cela est lié ce ton
magistral dont retentit et ne cesse de retentir au cœur de l’écriture
malgré son aspect blasphématoire, le texte qui, de l’Ecclésiaste, a
qu’est-ce qui en fait le ton, l’accent, sinon ceci tout est vanité, vanité,
nous traduisons ainsi, est en hébreu ceci (se lit Ru–ah) dont je
les trois lettres radicales, et qui veut dire vent, haleine encore, si voulez
buée, chose qui s’efface qui nous ramène à une ambiguïté, je
légitime ici à évoquer, concernant ce que peut avoir de plus abject
que tout ce que Jones a cru devoir élaborer à propos de la conception
Madone par l’oreille. Ce thème, cette thématique de la vanité, c’est
qui donne son accent, sa résonance, sa portée toujours présente définition
hégélienne de ceci, de la lutte originelle et féconde d’où
Phénoménologie de l’esprit, nous dit-il, de la lutte à mort de pur
dit-il, ce qui a bien l’accent de vouloir dire la lutte pour rien.

 

D’un Autre à l’autre

Leçon du 13 novembre 1968

Il n’y a rien d’autre, à moins de, pour aujourd’hui, vouloir vous quitter
sur quelque chose qui fasse sourire un peu plus, que je reprenne les
paroles qui, dans l’Ecclésiaste, d’un vieux roi qui ne voyait pas de contradiction
entre être le roi de la sagesse et posséder un harem, qui vous dit :
« Tout est vanité, sans doute, jouis de la femme que tu aimes, c’est-à-dire
fais anneau de ce creux, de ce vide qui est au centre de ton être, il n’y a pas
de prochain si ce n’est ce creux même qui est en toi, c’est le vide de toi-
même » mais dans ce rapport assurément seulement garanti par la figure
qui permit à Freud sans doute de se tenir à travers tout ce chemin périlleux
et de nous permettre d’éclaircir des rapports qui, sans ce mythe, n’auraient
pas été autrement supportables, la loi divine qui laisse dans son entière
primitivité cette jouissance entre l’homme et la femme dont il faut dire,
« donne-lui ce que tu n’as pas, puisque ce qui peut t’unir à elle, c’est seulement
sa jouissance ». C’est là-dessus qu’à la façon d’une simple, d’une
totale, d’une religieuse énigme, de celle qui n’est approchée que dans la
Kabbale, je vous donnerai aujourd’hui quitus.

 

D’un discours qui ne serait pas du semblant.

Leçon du 16 juin 1971

Et qu’est-ce que ce Père en effet dit, au déclin de l’Œdipe ? Il dit ce que dit
le surmoi. Ce que dit le surmoi — ce n’est pas pour rien que je ne l’ai encore
jamais vraiment abordé — ce que dit le surmoi, c’est : « Jouis ! »
Tel est l’ordre, l’ordre impossible à satisfaire, et qui comme tel est à l’origine
de tout ce qui s’élabore, aussi paradoxal que cela puisse vous paraître,
aux termes de la conscience morale. Pour bien en sentir le jeu de définition,
il faut que vous lisiez dans l’Ecclésiaste, sous le titre : « Jouis tant que tu es,
jouis », dit l’auteur, énigmatique comme vous le savez, de ce texte étonnant,
« Jouis avec la femme que tu aimes. » C’est bien le comble du paradoxe, parce
que c’est justement de l’aimer que vient l’obstacle.

 

… Ou pire

Leçon du 10 mai 1972

La sagesse comme il apparaît du livre même de la patience, de la
sapience, qu’est l’Ecclésiaste c’est quoi ? C’est, comme il est dit là clairement,
c’est le savoir de la jouissance. Tout ce qui se pose comme tel se
caractérise comme ésotérisme et l’on peut dire que, il n’y a pas de religion
hors la chrétienne qui ne s’en pare, avec les deux sens du mot.
Dans toutes les religions, la bouddhique et aussi bien la mahométane,
sans compter les autres, il y a cette parure et cette façon de se parer, je
veux dire de marquer la place de ce savoir de la jouissance. Ai-je besoin
d’évoquer les tantras pour l’une de ces religions, les soufis pour l’autre ?
C’est ce dont s’habilitent aussi les philosophies présocratiques et c’est
ce avec quoi rompt Socrate, qui y substitue — et l’on peut dire nommément
— la relation à l’objet petit a, qui n’est rien d’autre que ce qu’il
appelle âme.

 

1972-06-09 — UN HOMME ET UNE FEMME. Écrit de Lacan (inédit)

Paru dans le Bulletin de l’Association freudienne nº 54 de septembre 1993 pages 13 à 21 avec l’introduction suivante signée Charles Melman :
« Je retrouve dans mes papiers ce texte de Lacan, non daté. Je crois qu’il me fut remis afin d’être publié dans Scilicet, puis (pour quelle raison ?) retiré par l’auteur de la liasse. J’imagine ainsi qu’il s’agit d’un inédit, au moins pour la plus grande part. Qui me corrigera ou démentira ? ».
De fait il s’agit des notes préparatoires à la séance du séminaire « D’un discours qui ne serait pas du semblant » du 09 juin 1971, telles qu’elles furent intégralement publiées avec les fac-similés complets, par le supplément gratuit réservé aux abonnés de l’Unebévue no 8/9 printemps/été 1997.

Il n’y a qu’un père imaginaire, le père dit idéal, pour constituer l’agent de la privation,
laquelle ne porte que sur des objets symboliques.
C’est bien ce que toute culture qui le promeut, manifeste, comme le confucianisme en est l’exemple, où ne le représente que la tablette dont prendront soin ses descendants après que ses enfants se soient dévoués à sa vieillesse, dans une parfaite méconnaissance de ce qu’il en est de sa fonction phallique.
Ce n’est pas dire que la loi le châtre. Elle fait pire : elle le typifie.
Il est châtré bien sûr, mais c’est par l’opération du Père réel, qu’il faut considérer à
l’œuvre dans la religion juive qui, seule, a su développer sa (dimension ? ndc)
demansion propre.
L’homme du nuage, allais-je dire, de fumée ou de feu, selon qu’il fait jour ou bien nuit, celui qui contient le peuple de le précéder d’un corps, de lui avoir donné écrites sur des tables, non les lois du discours, ce qui s’appelle logique, mais celles de la parole dont sortent les prophètes et autres espèces de profs, cherchez : y en a plusieurs. Sa préférence est marquée pour les femmes qui ont passé l’âge, c’est à celles-là qu’il permet de procréer. L’accent de miracle mis sur le maintien de la lignée des patriarches, souligne la division de la jouissance et de ce qu’elle engendre. Ceci veut dire que la jouissance s’opère aux ordres. L’énonciation véritable du surmoi, — je n’en ai avancé la proposition qu’obliquement, mais une fois énoncée, elle convainc toujours plus —, elle est dans l’Ecclésiaste et elle se dit en français « Jouis » en quoi cette langue montre son bonheur. Car la réponse d’y être homophone, donne sa portée au commandement.

Jacques Lacan


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