Claude Léger, La psychiatrie a vécu

vendredi 13 novembre 2015
par  P. Valas

freud lacan

Claude Léger, la psychiatrie a vécu

La psychiatrie à laquelle certains d’entre nous ont été formés, a vécu.

Sa disparition, programmée dès après la deuxième guerre mondiale, a commencé à paraître tangible dans les années 80, avec la fin de l’internat des Hôpitaux psychiatriques, celle de ces hôpitaux eux-mêmes par la réforme hospitalière de 1986, et l’officialisation de la politique de secteur psychiatrique en 1985, qui devait permettre de redéployer des moyens importants sur les dispositifs extra-hospitaliers.

40 000 lits de psychiatrie ont ainsi été fermés entre 1987 et 2000, mais les moyens en question n’ont pas suivi.

Il se trouve que la troisième édition du DSM a été traduite en français et diffusée à partir de 1983, relayée par la CIM-10 de l’OMS, devenant alors un outil majeur pour rationnaliser cette politique de démantèlement.

L’OMS introduit alors la notion de Santé mentale en référence au bien-être des populations et en termes de besoins – à l’instar de l’alimentation, du contrôle des naissances et de l’éradication des pandémies -. C’est ainsi que la dépression devient un sintagme validé par les statistiques comme un fléau, voire une épidémie, en raison de ses répercussions économiques.

Opportunément, la mise sur le marché de la Fluoxétine (Prozac) inaugure un essor des psychotropes, qui vont suivre à la trace les avancées des neuro-sciences et se calquer sur la classification des troubles mentaux pour apporter des réponses ciblées.

En conséquence, vont se développer des sous-spécialités, comme l’addictologie, à l’intérieur de laquelle vont bientôt apparaître l’alcoologie, la tabacologie et bien d’autres logies qui vont revendiquer de nouveaux psychotropes, mais surtout, vont s’appuyer sur des techniques psychothérapiques, toutes issues de la même matrice comportementaliste.

Le DSM a montré ainsi sa redoutable efficacité, en devenant la référence obligée pour la catégorisation des troubles et des comportements, à l’usage, non seulement des professionnels, psychiatres ou non, mais de tout un chacun, désormais à même de s’auto-diagnostiquer et de choisir, parmi les techniques proposées par le marché, celle qui lui paraît le mieux lui convenir.

D’où l’importance de l’évaluation : on ne peut, en effet, laisser proliférer des pratiques qui n’auraient pas l’aval d’une autorité responsable en matière de santé publique, fondant ses recommandations sur des expertises aboutissant à un concensus, et dont les conséquences ne sont pas anodines, puisqu’elles déterminent de plus en plus la prise en charge des traitements par les assurances.

En se prétendant athéorique , le DSM a induit un mouvement de désubjectivation, de relégation des symptômes au statut de signes, traités sur un mode statistique pour définir des priorités de santé publique, selon des critères analogues à ceux utilisés pour caractériser les épidémies et mettre en place de grandes causes nationales.

Le DSM a permis également, dans cette perspective, et en articulant le codage des troubles avec des échelles de cotation, d’évaluer la prédisposition, et bientôt peut-être de prédire l’apparition de troubles à venir et donc, de les prévenir, ce qui est au fondement de l’épidémiologie.

L’usage des psychotropes va encore s’élargir et les thérapies devenir de plus en plus psycho-éducatives.

C’est ainsi que la pathologie psychique va se réduire à la crise, par échappement du contrôle – ce qu’on appelle la maintenance.

La mise en place de celle-ci – ou sa remise en place, au cas où elle aurait failli -, va nécessiter d’intégrer les troubles, devenus chroniques, dans un nouveau champ, celui du médico-social, moins onéreux, sous la dénomination de handicap psychique. Ainsi, les réponses collectives à la souffrance individuelle se complètent, grâce à l’entregent des associations d’usagers et de leurs familles, qui ne cessent de mettre en cause les carences de la psychiatrie.

Lorsque Lacan prédisait en 1969 que la séparation de la neurologie et de la psychiatrie allait faire de cette dernière une sociatrie, il voyait juste.

Mais, si l’on entend de plus en plus souvent aujourd’hui, certains réclamer la réunification des deux disciplines, ce n’est pas au nom d’une psychiatrie humaniste, mais pour donner à cette néo-psychiatrie fondée sur l’Evidence Based Medicine, les moyens dont elle a besoin pour la recherche en génétique, en imagerie médicale, en pharmacologie.

Ce sont eux qui promeuvent des centres ressources ou experts , institués selon les catégories du DSM : pour la schizophrénie, les troubles bipolaires, les TOC , etc.

Ils peuvent d’ailleurs ratisser large en s’appuyant sur la notion de multifactorialité des troubles : génétiques, biologiques, environnementaux, et pourquoi pas psychologiques.

Et la psychanalyse dans tout ça ?

Elle qui fut le dernier paradigme de la psychiatrie avant liquidation.

Elle qui noua des liens étroits, mais souvent ambigus, avec la psychiatrie à peine remise du choc de l’Occupation et qui tentait sa redéfinition selon le credo du bien-être de l’OMS et des Droits de l’Homme.

Elle qui fut portée par Lacan au plus haut niveau d’exigence éthique et épistémique, lui, le dernier héraut de la clinique des psychoses, et dont l’enseignement nous donne encore les outils indispensables à la rencontre avec ces sujets dont la rigueur échappe au contrôle.

Disqualifier le DSM

Disqualifier le DSM est un premier pas vers la restitution de la psychose à ce qui la spécifie, à ce qui la reconnaît comme telle, à ce qui en élabore ensuite le traitement.

Pas sans la psychanalyse.

Ce n’est pas un hasard si celle-ci a été récemment attaquée par ceux qui se font les parangons des vertus comportementales. La psychanalyse en a vu d’autres. Mais, elle ne survivra que de son discours.

Claude Léger.
Psychanalyste, membre de l’École de Psychanalyse des Forums du Champ Lacanien. Psychiatre des hôpitaux, chef du secteur de Levallois-Perret(EPS Roger Prévost). Enseignant au Collège Clinique de Paris.

Cet article a été publié dans Le Mensuel de l’EPFCL (France). No 70, mai 2012.

avant l'assaut


Commentaires  Forum fermé

Logo de Christian Dubuis Santini
Le sujet de la psychanalyse est radicalement irréductible au sujet de la psychologie
lundi 18 juin 2012 à 13h11 - par  Christian Dubuis Santini

Effectivement, le meilleur exemple de l’écart décisif qui sépare

• le « sujet psychologique » anglo-saxon, rationnel, utilitariste, monadique, chantre de l’idéologie hégémonique libérale

• du $ujet divisé de la psychanalyse

c’est peut-être l’échec de la Réforme du système de Santé dès l’ère Clinton, l’argumentation victorieuse du lobby médical ayant exclusivement reposé sur la mise en péril du soi-disant « libre arbitre »…

L’injonction « JOUIS », y a pas plus féroce.

Navigation

Articles de la rubrique