Le temps pour comprendre

jeudi 15 décembre 2011
par  P. Valas

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Le temps pour comprendre.

Il y a les analysants de Lacan , dont on fait des listes.

C’est très prisé aujourd’hui.

Il y a ceux qui ont fait leur analyse avec Lacan.

Les premiers vous parleront de la pratique de Lacan, dont ils seraient le produit certifié Label-Lacan.

En quelques sorte ils se déclarent ne pas être des contrefaçons.

Les autres, parmi lesquels je me range, nous parlons de notre pratique avec Lacan.

Cela peut sembler être du pareil au même, sauf qu’il y a pour les avec la place pour une différence absolue.

Dans ce cas, impossible de s’identifier au Moi de l’analyste, impossible de copier sa pratique, comme la façon dont il assurait la direction des cures qu’il menait.

J’ai beaucoup appris avec lui, guidé par le principe qu’il énonçait en ces termes :

Pas moyen de me suivre, sans passer par mes signifiants.

Ce pourrait être aussi bien une recommandation que ferait l’analysant à son analyste, qui lui aurait signifié, explicitement ou implicitement la règle fondamentale de l’association libre.

Tu es celui qui me suivra, jusqu’à ce point où tu perdras ma trace , qu’il proférait, j’y ai répondu, non pas comme à un impératif, une délégation ou une mission, mais en tant que futur. La promesse d’un à venir pas-tout calculable.

1- J’ai d’abord appris que Lacan pouvait recevoir quiconque, à tout moment, dans l’heure même s’il s’agissant d’ d’une urgence subjective.

Il n’avait pas de liste d’attente.

La première fois que je lui ai téléphoné, une dame m’a répondu. Lui ayant dit que c’est à Lacan que je voulais parler, je l’ai eu au bout du fil aussitôt.

C’est pourquoi, me demande-t-il ?

Je voudrais faire une analyse ?

Vous ne pouviez pas le dire plus tôt ? Venez demain à 14h. 03.

2 - J’ai alors appris que Lacan pouvait recevoir n’importe qui lui demandant n’importe quoi, n’importe comment.

Au premier rendez-vous, il me dit d’emblée :

Je peux vous donner l’adresse d’un de mes élèves, j’en ai qui sont très bien.

Pas question, répliquais-je.

Bon alors, combien pouvez vous me payer, je ne voudrais pas trop grever votre budget ?

J’ai été surpris, parce que j’étais très bien sapé. Comme lui d’ailleurs, avec ses chaussures vernis, et son pantalon tire-bouchonnant.

Nous avons convenu d’une somme par séance qui serait équivalente à 15 euros aujourd’hui.

Je viendrais 3 fois par semaine. Le mardi à 14h.03, le mercredi à 12h.07 et le vendredi à 15h.12.

Au bout d’un an d’entretiens en face à face je n’étais même pas sûr qu’il allait me prendre en analyse.

3 - J’ai donc appris aussi, qu’il prenait le temps de décider avant d’allonger.

Excédé par cette attente, je lui balance très vivement :

Suffit comme ça, poussez-vous, je vais me jeter sur le divan.

Lui aussitôt : Qu’attendiez-vous pour ne pas l’avoir fait plus tôt.

4 - J’ai appris aussi qu’il ne faisait pas des séances courtes - c’est un terme dont il n’a jamais fait usage.

Il s’agissait d’un autre registre que le temps de l’horloge, mais de celui du temps logique.

En conséquence de quoi, on ferait mieux de parler de séances où le sujet est pris de court, quand à la significations de ses dits, et dont résulterait un Dire énigmatique.

Un Dire dont il ne peut pas se dédire.

Un tu l’as dit, je ne te l’ai pas fait dire.

Comme une touche du réel.

Il faut saisir ici, qu’il y a dans cette pratique une véritable subversion logique :

C’est-à-dire, que l’instant de dire, serait l’équivalent de l’instant de voir, comme on dit vu en abattant une carte.
Par exemple au poker, au bridge ou au 21, auquel succède aussitôt en éclair un moment de conclure, de par l’intervention de l’analyste l’intervention, interprétation, scansion ou levée de la séance.

Quant au temps pour comprendre, il viendra dans la suit, à la mesure du sujet mis au travail.

Moi j’ai pris mon temps pour comprendre, et même encore aujourd’hui, jour après jour j’avance pas à pas dans la déprise du sens commun des discours où j’étais aliéné.

J’ai compris, au cours de ces années d’analyse, que Lacan faisait réellement objection, sinon obstacle à ce que je reçoive des personnes me demandant une psychanalyse, alors que je pratiquais déjà comme psychiatre à l’hôpital et en dispensaire.

C’est à l’occasion du « forçage » d’une patiente voulant faire « à tout prix » une analyse avec moi, et dont je parlais sur le divan, que Lacan interrompt la séance et me dit :

Nous faisons un contrôle.

5 - J’ai appris encore dans ces contrôles avec Lacan, qu’il ne faisait dans la clinique du cas, et de façon explicite :

Peu importe, me disait-il, que vos patients soient névrosés, psychotiques, ou l’on ne sait pas quoi. Dites-moi ce qu’ils vous disent, ce que vous avez répondu, et quels effets repérables en avez-vous obtenus.

A chaque séance de contrôle, je faisais le choix de parler de tel ou tel analysant, pas toujours le même, mais en fonction de mes difficultés du moment de chaque cure que je conduisais.

J’ai épinglé cette pratique d’une clinique du discours (défini comme lien social), pour la distinguer d’une clinique du cas - comme en psychiatrie.

En effet dans ces contrôles (ce terme n’est pas approprié, mais on n’a pas trouvé mieux, sinon pour dire qu’ils ne sont pas une supervision, puisque par méthode la psychanalyse ne procède pas de la vision), il s’agissait d’apprendre à intervenir de façon juste, au bon moment, dans le texte de l’analysant - ce qui me donnait la mesure de l’écart entre ma parole et mon énonciation, dans la mise au point du désir de l’analyste, ce qui n’est pas sans surprise.

Ma responsabilité était entièrement engagée, et Lacan ne se substituait jamais à moi pour me dicter ce que j’avais à faire dans ma pratique.

Quand je parle de ma pratique avec Lacan, il s’agit de Lacan-le-signifiant, dans l’intensité de sa présence sur fond d’absence de sa personne.

Un présence triple.

Comme psychanalyste, comme contrôleur, comme enseignant à son séminaire.

Comme beaucoup d’autres, j’ai donc baigné dans lalangue nouvelle, inventée par Lacan, faisant parler la psychanalyse en français, alors que à l’origine elle parlait en allemand.

C’est un des aspects du retour au sens de Freud, opéré par Lacan, que l’on ne souligne pas assez.

Cela a eu un effet de désarticulation de ma langue maternelle.

N’ayant su lire et écrire qu’à l’âge de 11 ans, pour des raisons de 2e guerre mondiale, je suis repassé par une période de dysorthographie, d’agrammatisme , voire d’a-syntaxisme, qui n’étaient pas calculés, comme pour Lacan.

J’ai été aspiré dans la passe, l’ayant d’abord éprouvée comme un moment d’égarement, pas sans affects paradoxaux.

L’ayant signifiée comme telle, Lacan m’a dit :

N’hésitez pas à faire la Passe.

Il m’a encouragé de séance en séance, approuvant ma façon d’aller dans la procédure dire en vrac ce qui me venait à mes deux passeurs.

Un jour, d’un coup ça s’est éclairé, je me suis retrouvé au sec, sur mes pattes signifiantes.

J’ai invité mes passeurs à informer Jean Clavreul, qui était secrétaire de la passe afin qu’il convoque le jury d’agrément.

Je travaillais à l’EFP depuis 1968, mais je voulais y entrer par la passe.

C’est comme cela que je comprenais La Proposition de 1967, Lacan trouvait cela très juste.

De pouvoir vous dire tout cela aujourd’hui, est pour moi comme un nouveau pas dans le discours analytique.

Entre temps, Lacan a dissout son école, qu’i nommait parfois monécole - sans me prévenir !

J’ai trouvé ça un peu gonflé, et lui ai fait remarquer que j’étais marron, et je me voyais obligé de refaire un tour de piste pour récupérer mes billes.

Laconiquement il m’a répondu c’est ça !

Toutes ces années, dans cette pratique du discours analytique, comme analysant, comme analyste en contrôle, où commençant à intervenir à l’EFP - j’ai parlé en 1978, pour la première fois en public, de ma pratique avec Lacan sous l’intitulé Séances courte et temps du rêve, ont été pour moi spécialement joyeuses.

7 - J’ai appris enfin, et surtout, qu’il ne suffisait pas de devenir psychanalyste, encore faut-il savoir le rester.

Pour ce faire, j’ai la formule : « pas moyen de me suivre sans passer par mes signifiants ».

C’est ce que peut dire tout analysant à son psychanalyste".

Je suis dans la satisfaction du temps pour comprendre, le sens de ma vie, pas sans affects, ni sans passions.

J’espère qu’elle durera le plus longtemps possible.

Patrick Valas, le 5 novembre 2011.

J’aurais parlé 3 fois de ma pratique avec Lacan.

- en 1978, au congrès de l’EPP sur La transmission de la psychanalyse.

sous le titre Séances courtes et temps du rêve, publié dans Les Lettres de l’EFP no 25 volume II.

Séance courte et temps du rêve

- en 2006, au congrès organisé par Claude Dumézil et Moustapha Safouan, dont les textes ont été publié avec la collaboration de Alain Didier-Weil Travailler avec Lacan, Aubier 2008.

Sous le titre, Le Sabre et le Pinceau.

Le sabre et le pinceau

- en 2001. à l’occasion d’une journée d’hommage à Jacques Lacan, organisée pa l’EPFCL, présidée par Sol Aparicio.

Sous le titre : Le temps pour comprendre.

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Commentaires  Forum fermé

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Le temps pour comprendre
jeudi 24 juillet 2014 à 17h14 - par  Malika Page

Merci beaucoup pour ce témoignage qui est très enseignant.
Cdt
MP

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Le temps pour comprendre
dimanche 23 décembre 2012 à 20h05 - par  Alain Monier

Bonjour
Entendre parler de Lacan c’est un peu comme si l’on nous parlait de la grotte d’Ali Baba. Combien aujourd’hui de voleurs pour piller la grotte avec talent ou avec genie. Genie, il y en a tres peu par siecle, mais le talent vous en tenez un bon bout.
Cordialement- alain Monier

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Le temps pour comprendre
jeudi 8 décembre 2011 à 11h05 - par  Nicolas V.

Quelle chance avez vous eu de recevoir la date de cette rencontre, je n’en ai pas eu mot…
Peut-être ferons nous un jour une rencontre :
« L’analyse, détours chez Valas ».

Cordialement.

Le temps pour comprendre
vendredi 2 décembre 2011 à 20h46 - par  Cyril M

De ce témoignage, merci.