Daniel Pendanx, L’institutionnel, la clinique, et le management comportementaliste

jeudi 15 décembre 2011
par  P. Valas

Le Surmoi

L’institutionnel, la clinique, et le management comportementaliste

Depuis quelque temps, suite à un changement de direction, nous voilà confrontés à notre tour à une politique managériale qui met cul par-dessus tête notre service éducatif de milieu ouvert : le dit « fonctionnement du service » n’est plus un moyen de servir les pratiques, d’aider les éducateurs qui sont en première ligne dans l’exercice des mesures de milieu ouvert, mais devient à lui-même son propre horizon.

La gestion devient sa propre fin, le moyen de satisfaire une logique d’emprise sur les dites « ressources humaines »…

Nous sommes dans l’auto-référence à soi. Ce qui correspond profondément à la culture dominante, celle de l’auto-fondation… Nous sommes donc condamnés tout à la fois à combattre et à nous maintenir vivants et ouverts auprès de ceux que nous affrontons – ce qui est loin d’être facile !

Le management, épousant la structure familialiste (paternaliste) des vieilles associations philanthropiques patriotes…

Le management, épousant la structure familialiste (paternaliste) des vieilles associations philanthropiques patriotes, établit un rapport quasi féodal aux praticiens : vous êtes nos salariés, nous est-il dit.

La priorité est pour ces directions gestionnaires, désarrimées du tiers commun, celui du travail clinique, éducatif, le « bon fonctionnement du service », et non le souci de garantir l’espace institutionnel tiers.

L’institution reste orientée vers le haut, le ciel des chefs et des docteurs. Je note au passage : c’est toujours très intéressant d’observer dans une institution le mouvement des uns et des autres, qui va vers le haut, qui va vers le bas, qui va vers qui…

Bon, enfin, tout le cinéma institutionnel…

Ce n’est donc plus l’institution qui se trouve tournée vers les praticiens de première ligne, mais ce sont ces praticiens qui se trouvent appelés au service de la gestion, du Moi de la gestion…

Dans notre petite scène les choses se sont cristallisées autour de la volonté d’imposer sans autre considération, de façon pour le moins contraignante et expéditive, une « badgeuse ».

La plus grande majorité de praticiens tente depuis, comme nous le pouvons, avec notre diversité, de soutenir un refus, et surtout de faire respecter, si cela est encore possible, nos « anomalies » comme ils disent.

Au long des années passées la maturation de nos pratiques, l’élaboration de notre implication et responsabilité professionnelles – privilégiant la parole sur l’agir, et ouvrant à des degrés divers la question du désir, de son désir (la question du qu’est-ce que je fous là ? comme dit Oury) – ont peu à peu profondément modifié le rapport à l’emploi du temps.

S’il y a bien quelque chose que nous avons en effet un peu conquis, et qui souvent en étonne ou en irrite plus d’un, les plus attachés de la servitude volontaire et du conformisme, c’est bien justement d’habiter au cas par cas, dans ce champ de pratiques si diverses qui sont les nôtres, notre emploi du temps.

Pour la plupart, cet emploi du temps n’est plus trop soumis à ce mode (surmoïque) qui fait que le praticien, soumis au surmoi des chefferies…

Pour la plupart, cet emploi du temps n’est plus trop soumis à ce mode (surmoïque) qui fait que le praticien, soumis au surmoi des chefferies, doit justifier de son temps comme s’il avait à se justifier d’exister, d’exister hors de la gouvernance de la Haute Mère n’est-ce pas… !

Ce que je soutiens c’est que les praticiens de ce service, dont je suis, pour avoir un certain goût de la liberté, ne trichent pas trop dans leur rendre compte régulier et vivant (en réunion hebdomadaire, comme dans un lien constant avec les collègues, les chefs de service, et dans les rapports réguliers aux magistrats) de leur intervention auprès des familles et des enfants.

Pour l’essentiel jusqu’alors les praticiens n’étaient pas trop suspectés : ce pourquoi ils s’autorisent à aménager, en regard de là où ils en sont de leur pratique, de la conduite des mesures, leur emploi du temps, en lien avec les chefs de service.

Notre travail, situé en première ligne du malaise dans l’éducation, est un travail très difficile, qui fait face à des cas producteurs d’une forte angoisse sociale de culpabilité.

Pouvoir se dégager de ce poids d’angoisse et du surmoi institutionnel qui se décharge ainsi sur le dernier chaînon de la chaîne institutionnelle n’est possible que si nous pouvons habiter de façon tranquille et vivante notre emploi du temps, et notre propre espace tiers auprès des parents et des enfants.

C’est la condition pour faire valoir avec mesure notre médiation éducative, ne pas nous laisser trop instrumentaliser dans et par la demande des tutelles.
Je ne connais qu’une façon pour amener un praticien à servir, et non pas à se servir, que je résumerai ainsi : c’est de voir si ce praticien, quant à son travail, il baratine ou il ne baratine pas…

On peut baratiner en bouchant son emploi du temps, en étant là pile à l’heure à l’embauche, pile à l’heure à la débauche, on peut aussi trouver nombre de prétextes pour se défiler du cadre, de l’exigence du cadre, du cadre en tant qu’il est, selon une formule heureuse de Charles Melman, une scène Autre. C’est d’ailleurs pour cela que quant à lier les praticiens à ce cadre, il convient à mon avis de le faire, non sur la totalité de l’emploi du temps, mais sur des temps institutionnels ritualisés.

Le « fonctionnement du service », comme disent nos managers, n’a jamais été menacé depuis des lustres…

Il l’est aujourd’hui. Et ce serait notre fait ?

Et bien non, ce n’est pas du fait de praticiens qui refusent de se laisser maltraiter, et surtout qui refusent ce renversement de la politique institutionnelle ! Une politique, qui malgré un certain déséquilibre par rapport aux figures tutélaires, avait jusqu’alors déjoué le risque du monolithisme, celui du formatage techno-comportementaliste.

Le formatage techno-comportementaliste.

Nous sommes, quant à notre rapport au temps et à l’espace, sans arrêt en train d’essayer de nous lier au mieux, de façon vivante, échappant au formalisme, non à une machine, mais au réel des familles et des enfants, pour les aider de la façon la plus aimable et équilibrée, à supporter et vivre justement ce réel.

Ce qui oblige les praticiens à encaisser ce réel, la dimension d’impossible, de l’impossible à commander ! C’est bien cet impossible que les managers, mis face à leur propre impuissance, ont aussi, à travers notre refus, à encaisser. Comprendre cela peut aider à demeurer sinon très aimable avec ceux-là, tout du moins en capacité de leur parler – je dis bien parler –, sans vouloir de trop les détruire à notre tour.

Pour la plupart, nos plus jeunes collègues sont aidés et peu à peu conduits à perdre leur surplus d’idéal, conduits à reculer, à patienter, et partant aidés à reconnaître peu ou prou, que cela soit nommé ou pas par eux, ce qu’il en est de l’efficace du symbolique : l’efficace d’un accueil du refus, d’une absence qui ne soit ni rejet ni abandon, l’efficace du temps nécessaire, l’efficace de l’espace tiers, du sens de la mesure et des limites de notre intervention…, mais aussi l’efficace de se tenir tiers exclu dans la scène du cas, qui est aussi la scène du lien, du lien fondateur que tout lien de deux, soit-il de conflit, représente… Arriver à ne pas s’en mêler n’est-ce pas…

La logique du tiers exclu, voilà qui fait le principe de la clinique dans le travail social.

Le travailleur social fait de la thérapie en continuant d’exister, en survivant à la destructivité sans agir des représailles en retour, disait Winnicott.

C’est énorme cette affaire là ! Nous y travaillons, avec quelque succès, depuis bien longtemps.

L’orientation et la position que je soutiens, m’opposant par exemple à un certain type de « supervision », manipulatrice du transfert, a je crois contribué à ce que notre institution ne soit pas monolithique : des enjeux d’orientation, des conflits traversent ce service, bien sûr.

Mais jusqu’alors dans des conditions qui nous permettaient tous je crois de vivre, et de considérer que la vie institutionnelle, même si elle est parfois violente, est supportable.

Nombre de jeunes et moins jeunes collègues se sont inscrits, chacun à leur manière et leurs tendances, dans cette tradition, dans ce mouvement, dans cette scène. Je les y vois, m’y reconnaissant, souffrir et résister, commencer ou continuer à perdre aussi ce qu’il ont, comme chacun, à perdre, je les vois aussi un peu moins suivre… Je sais souvent leur douleur, combien ils butent sur la division, l’irréductible du hiatus. Mais j’aime ces moments où je les vois se délivrer (du surmoi), affronter et déjouer l’interdit maternel, celui de la Reine de la nuit, même s’ils ne le savent pas…

Ce contexte et ce climat de travail, cette transmission, supposent des conditions institutionnelles, une écologie si je puis dire de l’institutionnalité : que notre espace, tel un jardin, soit aéré, cultivé, soigné.

C’est là aussi l’enseignement du courant institutionnaliste, aujourd’hui à mon sens à reprendre de façon critique.
Il est notable qu’au moment même où est introduit cette « badgeuse », la ritualité institutionnelle, dans ce qu’elle imposait à tous de la logique du tiers exclu, soit décomposée, mise à mal.

Ce qui se trouve aujourd’hui attaqué c’est au fond l’espace tiers de respiration, de séparation, de culture, celui de la responsabilité individuelle.

Ce qui est menacé, c’est bien la scène Autre, la condition institutionnelle de la parole.

Notre milieu professionnel, sans avoir à chercher ou à désigner d’autre ennemi à l’extérieur, souffre depuis longtemps de son propre positivisme réparateur, éducatif, thérapeutique, de cette « idéologie sanitaire » dont parlait déjà fin des années cinquante Lacan, et par là d’un juridisme masqué.

J’ai souvent relevé ce juridisme occulte, qui conduit à se tenir dans plusieurs places de discours, et à ainsi récuser sa propre castration institutionnelle, sa propre place de tiers exclu dans la scène du cas.

C’est dans ce positivisme que s’est engouffré le management.

Le positivisme se traduit et se manifeste depuis des décennies par une récusation, plus ou moins sophistique, de la problématique œdipienne, du « meurtre » et de « l’inceste ».

Ce mouvement régressif a conduit les pères à raser les murs. Les pères, j’entends là les hommes et les femmes qui, tels les juges ou les praticiens de l’AEMO judiciaire, sont en représentation et en fonction d’un-père (Lacan), fuient leur propre négativité, leur propre destructivité…

C’est à cette destructivité – une haine dont nous ne voulons rien apprendre de nouveau – que les praticiens les plus scotchés à leur théologie, à la Positivité et à l’Idéal, à leur idéologie de la consolation, soit-elle celle de la parole ou du désir, cherchent à échapper…

Regardez les, ces innocents, collés à leur Cause, ils se font un monde d’un claquement de porte, une affaire d’une expression colérique, une maladie d’un sentiment de « meurtre » ! La maladie de l’idéalité, comme disait Janine Chasseguet-Smirgel, a de beaux jours devant elle…

Ce qu’il faut donc ici relever c’est en quoi le positivisme – qui dénie tout sens positif à la négativité – rend impossible la métabolisation de la destructivité, et dès lors sur-moralise… La moraline a des expressions si diverses !
Le père, le père en tant que tel, celui qui fait face au fantasme œdipien, qui donne son statut à la plainte, peut-il être autre chose, pour nos managers aussi, qu’un « méchant » ?

Ce qui me fait ici penser à ce que disait si bien Winnicott, s’en prenant aux comportementalistes :

« … quand on suce son pouce, on est méchant, quant on mouille son lit, on est méchant, quand on met du désordre, quand on vole, qu’on casse un carreau, on est méchant.

C’est méchant de mettre les parents au défi, de critiquer les règlements de l’école, de voir les défauts des cursus universitaires, de haïr la perspective d’une vie qui tourne comme une courroie de transmission. C’est méchant de rechigner devant une vie réglée par des ordinateurs. ».

Dans ce propos précurseur, tenu en 1969 voyez-vous, Winnicott, soulignait que ces gens dont il parlait, qui considèrent la vie avec la plus extrême naïveté et une surprenante sursimplification, ne sauront jamais « qu’il existe une autre sorte de travail social, un travail orienté pour faciliter les processus du développement ; ils ne sauront pas que contenir tensions et pressions des personnes et des groupes comporte une valeur positive, de même que laisser le temps agir dans la guérison ; ils ne sauront pas que la vie est réellement difficile et que seul compte le combat personnel, et que pour l’individu, il n’ya que cela qui soit précieux. … Il faut [aussi] parler ici des médecins et des infirmiers, car leur travail repose également sur une sursimplification fondamentale : la maladie est déjà présente, leur travail est de l’éliminer. Mais la nature humaine n’est pas comme l’anatomie et la physiologie, bien qu’elle en dépende, et les médecins … ne sont pas faits pour la tâche du travailleur social, à savoir reconnaître l’existence du conflit humain, le contenir, y croire et le souffrir, ce qui veut dire tolérer les symptômes qui portent la marque d’une profonde détresse. Les travailleurs sociaux eux ont besoin de considérer sans cesse la philosophie de leur travail ; ils ont besoin de savoir quand ils doivent se battre pour être autorisés à faire les choses difficiles (et être payés pour ça) et non les choses faciles ; ils doivent trouver un soutien là où on peut en trouver, et ne pas en attendre de l’administration … ni plus généralement des figures parentales [des tutelle]. … les travailleurs sociaux doivent être eux-mêmes les figures parentales, sûrs de leur propre attitude même quand ils ne sont pas soutenus, et souvent dans la position curieuse de devoir réclamer le droit d’être épuisés par l’exercice de leurs tâches, plutôt que d’être séduits par la voie, facile, de se mettre au service de la conformité. »

Il concluait ce texte en indiquant que si le comportementalisme n’était pas tué par le ridicule (tellement il est accablant de bêtise), alors « il faudra la guerre, et la guerre sera politique, comme entre une dictature et la démocratie ». Nous y sommes, bien sûr.

Mais on ne peut mener à mon sens cette guerre, ce que je rabâche aussi depuis longtemps, sans travailler à se dégager dans le même mouvement, d’une position institutionnelle de pouvoir, en miroir de celle que l’on dénonce.

Il ne s’agit pas de s’enquiller dans le miroir, mais bien d’avoir une politique de l’interprète qui, sans singer les syndicats ou les partis, nous fasse nous tenir nous-mêmes limités à notre place de discours, dans l’espace tiers, comme tiers. Autrement dit il s’agit de se tenir dans l’écart, à distances des pouvoirs institutionnels.

Aussi mon orientation, d’une bonté limitée, a toujours été dans notre scène professionnelle, luttant contre les simplificateurs-unificateurs, de faire du deux, et à partir de là du pluriel

.

Ce qui ne m’a guère rendu compatible à cette aspiration naturelle des communautés et des groupes au même, à l’Un – à cet homogène par où la différence, hé bien, soit elle passe à l’as, soit elle se cristallise en clivage, sur le mode habituel du phallique/castré.

Elaborer, penser, aimer, se cultiver, interpréter, c’est travailler à l’infini à symboliser et à dépasser ce clivage – clivage dans la représentation dont les racines pulsionnelles inconscientes, infantiles, sont celles de la primitive relation orale (ou bien dedans, ou bien dehors), celles du sadomasochisme, du dominant/dominé.

Ce « travail », dont nul diplôme nous délivre, s’engage à l’infini, et par des voies diverses, comme conquête subjective du féminin, pour les deux sexes. C’est le message que Freud délivre dans Analyse finie, analyse infinie, texte fameux dans lequel il souligne que le féminin est le roc de la castration pour les deux sexes, l’un qui veut le pénis et l’autre qui a peur de le perdre.
Voilà qui oriente depuis bien longtemps mon regard, dans le marais de l’amour-propre et des intérêts particuliers.

« 

C’est une absolue perfection, comme divine, de jouir loyalement de son être

 ».

Pourquoi cet aphorisme de Montaigne me vient-il ici ? Peut-être d’avoir longtemps médité son loyalement, qui nous écarte de l’égotisme, vous savez cette façon de placer sa jouissance à l’enseigne de l’ironique devise anglaise : I, me, and myself… On appelle cela le narcissisme… Une façon de n’être jamais deux quand on est deux, jamais trois quant on est trois…

Etre deux, ce n’est vraiment pas une affaire facile. Certains ne seront peut-être jamais deux, parce qu’être deux suppose de soutenir son être-pour-le-sexe, soit la déchirure, l’entre-deux du vide – ou pour le dire dans les termes de Lacan, l’ impossible du rapport sexuel.

Il y a une impossible satisfaction du désir, et c’est cela, cette limite mise au fantasme, au désir de l’Un, qui est le plus insupportable. Je comprends, moi qui ait hurlé la détresse, que cet insupportable chacun cherche à le repousser, le contourner.

Pour les managers, sur-simplificateurs et autres tenants du comportementalisme, cet insupportable, le tragique même de notre condition, n’est, comme l’écrivait René Char, poète et résistant, qu’affaire triviale.

Ceux-là, enlacés à leur fonction, tel L’âne qui portait des reliques, continuent à se prendre pour l’Idole à qui l’hommage est dû… Leur violence est inouïe, inaudible à eux-mêmes… Je me demande souvent : ont-ils été si maltraités et n’ont-ils jamais quitté ou été quittés qu’ils aient un tel goût de suivre et de faire suivre, une telle vocation à la défense de l’outragée ?

Le problème c’est que la fabrique du deux est la chose la plus précieuse de notre exercice professionnel. L’essentiel, j’y insiste, est bien là : arriver à être deux, tout en jouissant loyalement de son être… Ce qui implique d’accepter que l’autre aussi, il en jouisse de son être, avec ou sans moi, loyalement. C’est ainsi qu’on peut sortir du familialisme et de la citadelle institutionnelle, sans trop succomber au duel.

Certains vont penser que je dis (une fois encore) n’importe quoi, parce que pour eux quand on est deux on est deux, point. Ah bon ? N’ont-ils donc jamais appris, un peu appris, au fil de leurs souffrances (inévitables), à reconnaître comment la passion de la complétude – puis-je dire incestueuse ? – a pu les tenir, et les tenir encore… Il n’y a pas d’autre élaboration institutionnelle qui vaille que cette reconnaissance là vous savez… C’est cette passion de l’Un qui inceste le cours de nos vies comme le cours de la vie institutionnelle… C’est pourquoi dans le travail institutionnel il s’agit bien aussi pour l’interprète de médiatiser le rapport du désir à la loi, non pas d’opposer la loi au désir, mais d’unir, comme le soulignait Lacan, le désir à la loi… Le grand problème pour le monde éducatif, psy, étant alors de se dégager de sa propre impasse, soit de sa propre conception insulaire du sujet dit Legendre, et de là saisir la facture institutionnelle (langagière) du sujet et de la Loi…

Beaucoup aimeraient bien, c’est très au goût du jour, isoler l’inceste, autrement dit que l’inceste ce soit fifille avec papa, et le petit avec maman, ou bien, pour les plus audacieux, comme cette chère Héritier, « l’inceste de troisième type », entre sœurs… Quelle découverte dites-donc ! Mais si vous vous en tenez à cette réduction de l’inceste à la chair et à la famille, à cette sociologie là, à cette anthropologie là, objectiviste et bouchère, vous êtes foutus, vous ne pourrez jamais comprendre que l’inceste ça va bien au-delà de la chair et de la famille, que c’est d’abord l’enveloppe invisible, sexuelle, de tout lien.

On parle ainsi de la patrie comme d’une mère-patrie… La folie patriotique, ultra nationaliste, c’est une folie proprement incestueuse.

Regardez les enlacés du Front Managérial, ils aiment leur Association, leur Cause, à mort ! Je veux dire qu’ils n’hésitent pas à vous « tuer » si vous menacez cet enlacement, c’est-à-dire en vérité, leur fol amour d’institution ! C’est comme s’ils étaient mariés avec leur mère.

Mais j’ajoute que cet enlacement, ce fol enlacement à la mère-institution, il regarde et implique chacun d’entre nous.

Ah la dissolution…

Dès que vous avez affaire à l’institution, sous un quelconque signifiant, y compris celui de la psychanalyse, vous avez le lien à la fiction « mère » qui se pointe, et dès lors vous avez affaire à la question de l’inceste – la question de l’enlacement à la fiction de la Mère absolue, la Mère phallique comme dit le jargon de la psychanalyse – la Reine de la Nuit qui trône dans l’inconscient…
L’inceste c’est d’abord et avant tout l’inceste de représentation, un lien absolutiste, sans écart ni distance, avec le signifiant de sa Cause.

Regardez donc comme certains, identifiés à leur Association, leur Institution, leur Cause, en parlent comme si ces fictions avaient un corps de chair ! Cela les rend un peu « délirant »…

La dissolution de la colle à l’Association exige l’opération des tiers, pas d’un seul.

Je dis parfois : j’ai manqué d’aide pour l’aider. Cela me fait parfois aussi colérique. Mais c’est très bref. Bon, j’espère que cela est un peu entendu aujourd’hui par quelques uns qui pourraient me lire ici, et qu’ils en tireront profit pour eux-mêmes. Et je leur dis : vous voyez que je ne suis pas si « méchant », même si je peux être parfois con à mon tour. Mais je le revendique, comme d’être fatigué. Ceux qui veulent un mec parfait, un maître sans faille, un père idéal, sans violence of course, qu’ils aillent se faire voir…

C’est cela, cette indistinction originaire homosexuelle de soi et de l’autre, cette aspiration fantasmatique dans l’Un, à la source de la férocité du lien duel, que le langage, le droit et les institutions, les « parents » (toutes les médiations parentales institutionnelles) ont charge par la parole (sur ses différents niveaux) de civiliser, de médiatiser.

Civiliser, comme le mot l’engage, c’est lier par la parole le sujet aux catégories du droit civil, celles, langagières, de la différence des sexes et des générations, mais c’est aussi lier les institutions au principe de limite, de distinction, de séparation.

C’est pourquoi l’intervention du juge, si elle était bien comprise, cliniquement bien comprise, ne devrait avoir d’autre horizon que celui de rétablir en droit, au cas par cas, chacun à sa place, et cela en référant toutes les fonctions et les institutions à leurs propres limites de discours et de compétence, aux frontières de leur propre espace tiers1.

Il n’y a de sujet, comme le rabâche Pierre Legendre, que sujet institué.

La manœuvre civilisatrice, symbolique, différenciatrice, clinique – manœuvre dans laquelle s’inscrit notre propre médiation éducative –, consiste, en toute société, «  à travailler le mélange du sujet humain avec la Mère absolue, en déplaçant le sujet vers l’espace tiers des institutions où fonctionne la Loi, […]. Instituer veut dire défaire plus ou moins ce mélange, le situer dans un discours de la Loi, l’utiliser aux fins de la reproduction. » (L’empire de la vérité, p. 73).

Vous voyez, ce propos qui date de 1983, m’a marqué, et depuis je n’ai cessé de me dire que c’est quand même fort de café que les psychanalystes qui se mêlent du travail social, méconnaissant la propre fonction symbolique médiane des juges, aient circonscrit à ce point cette affaire de «  l’espace tiers des institutions où fonctionne la Loi » ! J’ai fini par comprendre que pour ces analystes, qui revendiquent en quelque sorte le monopole du symbolique, de la clinique, et prennent les juges pour de simples régulateurs sociaux ou une sous-catégorie de thérapeutes, il n’y a au final qu’une identification noble, la leur. Ce qui ne peut être sans effet sur la conduite et l’issue des cures…

Legendre poursuivait ainsi : « Cette Mère absolue, à proprement parler sans nom, projetée dans un au-delà de la mère bien réelle, habite le fantasme inconscient. … nous ne savons pas ce que c’est, mais nous en subissons les effets. ».

Si vous ne considérez pas cela, l’arrière scène inconsciente de la subjectivité, le fait que le fantasme incestueux se projette bien au-delà de la mère réelle, sur l’ensemble des liens, vous ne pouvez saisir la fonction proprement clinique du droit et des institutions…

Si vous refusez de prendre acte que la subjectivité est un fait institutionnel2, vous ne pourrez par exemple repérer ce qu’il en est de « l’inceste » dans ces annonces de recrutement que je lis ici et là pour des directeurs ou des chefs de service. C’est très instructif ce genre de lecture, pour relever le fin fond du fantasme – dois-je dire « totalitaire » ? –, qui sous-tend l’idéologie managériale. Qu’y-a-t-il donc derrière ces annonces exigeant une collusion de fer, sinon l’inceste, et le refus du féminin et la peur, la peur de l’Autre et la peur de penser ?

Pour celui qui a, comme disait mon maître griot, la vision des fondements, il est assez aisé de reconnaître sous ces annonces, exigeant comme première vertu d’avoir « le sentiment aigüe de l’unité de direction », la vieille passion des Associations patriotes, la fureur managériale de l’Un, du faire Un à deux, à plusieurs…

C’est là-dedans que nous nous engouffrons, que nous entraîne la tourmente gestionnaire. Pour quelle transmission, pour quel monde à venir ?

Une dernière remarque. La psychanalyse comme école peut-elle aider à mener la guerre dont parlai Winnicott ?

Oui, si elle aide d’abord à ne pas suivre, à perdre le goût du faire suivre.

J’ai forgé, avec et après mon analyse, mon viatique à cette école, dans le fil des Leçons de Pierre Legendre, qui a tenu les distances, la distance, et auquel je paie ma dette.

Bien d’autres, du Mouvement psychanalytique, comme Jacquelyne Poulain-Colombier en soutient courageusement et rigueur la fiction (nécessaire), m’ont aidé à m’orienter dans le théâtre institutionnel, à garder le sud, la boussole des désirs invisibles 3 !
Daniel Pendanx

1 Daniel Boulet, après une longue expérience de juge des enfants à Bordeaux, a été un des premiers, sinon le premier, à indiquer dès 1989 dans son Bilan critique de la protection de la sauvegarde de l’enfance combien la personnalisation familialiste de la fonction du juge des enfants a « vulgarisé une modalité d’exercice de la fonction judiciaire qui tend au refoulement de la problématique généalogique et à la dé-légitimation de l’ordre symbolique des places. » (Archives Aquitaine de Recherche sur le Social, nospécial 1989-1990, pp.85-86).

Hélène Cazeaux-Charles, elle aussi ancien juge des enfants, soulignait à son tour en 2003, dans une intervention auprès de la Protection Judiciaire de la Jeunesse, l’exigence et le sens de l’écart à faire valoir : « Reconnaître la nécessité d’un écart structurel entre les fonctions de juge des enfants ou du tribunal pour enfants et les services éducatifs suppose que l’on ait définitivement renoncé à croire que le droit est une technique de régulation sociale, légitimant, ainsi conçu, ce qu’il faut bien qualifier de dérive comportementaliste de l’action judiciaire et éducative. Conçu autrement, c’est-à-dire comme un discours porteur de fictions inscrites dans un montage agençant les places, réglant les fonctions, distribuant les rôles, le droit oblige à la mise en œuvre de pratiques professionnelle mettant en scène, chacune pour le compte de leur acteur, la rencontre des sujets humains avec la dimension de l’indisponible. » (Documents internes, PJJ, 2003)

2 Prendre acte que la subjectivité est un fait institutionnel c’est percevoir et saisir que la scène institutionnelle est partie intégrante de la scène primitive du sujet (Legendre) : il y a un rapport subjectif complexe, de représentation, interne au sujet, entre le jeu des figures sur la scène et son fantasme de scène primitive, son fantasme œdipien. C’est aussi en ce sens que Freud disait que psychologie individuelle et psychologie sociale sont au fond une seule et même chose. L’institution travaille avec le même matériau que le sujet.

3 L’expression est de Sollers.


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Daniel Pendanx, L’institutionnel, la clinique, et le management comportementaliste
vendredi 16 décembre 2011 à 09h01 - par  Daniel Pendanx

J’ai lu de Melman sur le site de l’ALI, une toute récente intervention en octobre dernier en Martinique, qui m’a plu, et qui me paraît pouvoir tout à fait, en particulier dans sa fin (que je souligne ci-dessous) sur la topologie et le transfert, correspondre et s’articuler à ce que Legendre soutient sous les formules "il n’y a de sujet que sujet institué", ou celle de la "constitution institutionnelle de la parole"…. d’où je tire celle de castration institutionnelle

formules qui ne signifient pas dans mon esprit, tout au contraire, qu’on puisse réduire la topologie institutionnelle à un formalisme linguistique ou mathématique, qui dès lors, je livre cela prudemment, tend à couper les registres (RSI) eux-mêmes des constructions culturelles, institutionnelles, juridiques, qui comme "produits des dispositions de la langue", "parlent le sujet par avance". . Tout cela touche de près je crois à ce qu’il en est de la place instituée du psychanalyste… , et de tout interprète dans la scène du cas, soit-il cet interprète le père ou la mère n’est-ce pas.

d’aucuns disent qu’il y a une recrudescence des phobies chez les enfants ; je n’en sais rien, mais si tel est le cas, je crois que cela pourrait être très utilement rapporté à la déconstruction culturelle et juridique en cours de la structure. Par exemple, nombre de mères aujourd’hui, via le gosse qu’elles refilent au père (au père vécu comme une mère-sans), se retrouvent fixées (girl-phallus) à cette figure du pauvre papa castré…. et font duo avec maman, la leur n’est-ce pas… Le problème étant non pas tant que ces choses se passent, elles se sont toujours peu ou prou passées, mais que le fantasme qui les organise soit aujourd’hui légitimé, que ces situations d’inversion correspondent à ce qui de l’idéal du moi (de l’identification au père de la préhistoire individuelle) est promu, par exemple ces jours ci avec le retour de la dite "garde alternée", abordée de façon "psychologique" au final molle, et non en regard de la structure, par ceux qui du côté de la psychanalyse prétendent vouloir éclairer le législateur …

l’extrait de l’intervention de Charles Melman :

" Il m’arrive souvent, ne serait-ce que pour le fun, de commencer comme ça un propos en m’adressant aux amis qui sont là en disant « mes chers camarades » évoquant par là le fait que dans le meilleur des cas nous sommes en train de naviguer ensemble sur le même bateau et de ramer dans le même sens, ce qui n’est pas toujours le cas bien sûr ! Il m’arrive aussi de dire « mes chers amis » ce qui est souvent dit par antiphrase, je veux dire compte-tenu des sentiments contre-transférentiels qui sont ordinaires et vis-à-vis desquels il ne faut aucunement s’insurger.

Il m’arrive aussi parfois de dire « mes chers enfants » et je me disais que ce serait bien difficile que je vous dise « mes chers enfants », la question se posant de savoir qui pourrait occuper cette place où il vous dirait « mes chers enfants ». Traditionnellement c’est le prêtre bien sûr qui semble légitimé. Nous sommes dimanche matin…bon ! Mais enfin la messe est finie à cette heure-là …« mes chers enfants ! ».

En tout cas le dire, quand je le dis c’est par provocation, le dire amène forcément à s’interroger sur la place du psychanalyste. Quelle est la place d’où il parle ? C’est la question que me posait Alain-Pierre Louis : « Quelle est la place du psychanalyste ? ». Elle est à la fois aussi bien, évidente que dissimulée, elle est la place qui est à la fois la plus proche et la plus éloignée, c’est une place qui est subjectivement fort bien connue puisque c’est celle qui fait que la relation au monde ou à l’environnement n’est jamais duelle mais passe toujours par cet intermédiaire avec lequel chacun d’entre nous dialogue… dialogue intime où il y a à la fois des adresses qui peuvent être plaintives, des injonctions qui lui viennent…

Donc, il y a cette place lieu du dialogue intérieur, et qu’il y a lieu d’interroger. Celui qui dialogue ainsi, est-ce qu’il sait avec qui il parle ? Quel est celui qui occupe cette place et qui est cependant tout à fait déterminant, non seulement dans ses modalités de pensée mais aussi d’action puisque c’est dans le dialogue avec celui-là que vont se décider ce qu’il va faire ou pas. Quel est celui-là ? c’est un peu l’opération miraculeuse - elle me paraît toujours miraculeuse - qu’opère le divan, c’est-à-dire lorsque quelqu’un vient s’allonger dans ce dispositif génialement trouvé par Freud, par son intuition dès lors que je cesse de m’adresser à mon semblable, ma parole se trouve effectivement adressée à ce tiers, avec la tâche évidemment de déterminer quel est-ce tiers, qui dans ma singularité commande ainsi mon destin, mon histoire, mon aventure. Et, si je suis amené à identifier ce tiers, serait-ce sous la forme de l’objet cause de mon désir et en tant qu’il est effectivement l’élément tiers impliqué dans mon rapport au monde, de savoir quel est à la fin de la cure, le mode de rapport que j’aurai avec lui.

Ce que Freud appelait liquidation du transfert étant le fait de reconnaître que ce qui opère là pour moi comme tiers, n’est nullement la figure d’un Dieu absolu et universel, mais simplement ce qui pour moi, est venu s’inscrire dans mon histoire. La possibilité d’une cure étant que je trouve vis-à-vis de lui, une position qui soit non plus de suggestion… On ne va pas dire d’esclavage, ce ne serait pas exact…une position de suggestion, une position d’obéissance, de soumission dans le jeu qui m’est imposé, puisque je ne choisis pas mon jeu, je suis pris dedans, je suis pris dans une pièce dont l’auteur m’échappe. Qui l’a écrite la pièce dans laquelle je suis un figurant, un acteur, une actrice, ce que l’on voudra ? Et donc reconnaître que le lieu d’où ça parle, où est venue se loger cette instance, ce lieu d’où ça parle et avec lequel je dialogue, est fondamentalement un lieu vide.

Cette vacuité dont je me protège par l’injection d’un au-moins-Un qui va me servir de référent, ça c’est le problème du lieu d’où parle l’analyste : est-ce qu’il va parler depuis le Un, par exemple celui de ses maîtres, de leur savoir ? « Moi je suis lacanien » ! C’est indéniable ! Est-ce que je vous parle au nom du lacanisme, si ce mot a un sens ? Il n’en a aucun. Ce n’est pas une doctrine ni un système ! Donc ça n’a pas de sens, mais ça n’a pas d’importance ! Est-ce que je vous parle en lacanien ? Je me réfère au Un de mon maître ?

Est-ce que dans un souci de libéralisme, je vais quitter le monothéisme pour dire « après tout, les autorités, elles sont plurielles ; il y a du bon à prendre chez chacun »…du bon ou du mal peu importe ! Il y a à prendre chez chacun, comme ça au moins on se soulage, on se soulage du Un tout seul. Il y a toutes les écoles, il y a tous les maîtres, il y a tous les référents. Ils ne disent absolument pas la même chose, parce qu’il y a cette troisième instance qui risque d’occuper la place, c’est celle du symptôme de chacun. Quand chacun parle, habituellement ce qui est son référent c’est son symptôme, c’est-à-dire sa façon à lui de mal se débrouiller avec la jouissance. C’est ça le symptôme ! Symptôme dans lequel nous sommes tous, qui fait que nous nous débrouillons mal avec la jouissance !

La façon dont l’un se débrouille mal avec la jouissance peut faire école. Les diverses Écoles philosophiques sont après tout des écoles de modalités de jouissance. C’était tout à fait clair quand la philosophie avait un sens. C’étaient des Écoles, des façons d’organiser, de supporter la douleur, par exemple chez les Stoïciens… je ne vais pas développer ! Chacun risque de parler avec son symptôme, de fasciner et de faire École, d’inviter à ce qu’on s’organise pour partager le même défaut, la même modalité de traiter un défaut qui est, ce que Jeanne évoquait tout à l’heure, qui est un défaut général. Il reste qu’il n’y a que des modalités de le traiter, donc les Écoles.

Ceci en préambule pour vous amener à ouvrir l’oreille sur la place où chacun peut être amené à vous parler quand il est psychanalyste et pour repérer là ce qui l’anime. La place de Lacan était très claire ! Tout son abord de la topologie était pour témoigner que là où en dernier ressort nous attendons tout du verbe, d’un verbe, d’une parole…la bonne ! Il n’y a en dernier ressort que du dispositif topologique…ça je dois dire que c’est radical ! Il faut le supporter, ça ne va pas de soi ! Penser que nous serions en dernier ressort les enfants, non pas d’un verbe bon ou mauvais, d’une langue bonne ou mauvaise, d’un patois ou d’un dialecte, de ce que l’on voudra. Non ! Non ! Non ! Nous sommes les enfants de dispositions topologiques, qui sont les produits de l’organisation d’une langue. Enfin ça se ramène à ça ! Il n’y a pas de traitement plus radical du transfert que cette façon de procéder…."

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