Patrick Valas : Une École impossible de la psychanalyse.

vendredi 23 août 2019
par  P. Valas

Patrick Valas

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Une École impossible de la psychanalyse.

Je me suis toujours opposé à cette façon millérienne de saucissonner l’enseignement de Lacan selon la diachronie de son déroulement, tellement la synchronie de ses avancées selon les veines de la structure ont été inaperçues de lui.
Là où il parlait de contradictions dans les termes de Lacan, il a très tardivement compris qu’il s’agissait de paradoxes, que l’usage de la topologie permet de saisir aisemment.
Pourtant Lacan a introduit la bande de moebius et le tore dans son enseignement dès le Discours de Rome en 1953.
S’agissant de l’inconscient, une simple bande de moebius peut en figurer la structure : en effet, l’envers et l’endroit ne sont pas en contradiction (diachronie) mais liés paradoxalement selon la synchronie.
Il faut dire que Miller se vantait naguère en disant que personne ne pouvait « comprendre » Lacan, tant que lui-même n’y avait pas mis de sa patte.
C’est ainsi qu’il a décidé de publier les séminaires de Lacan selon le calendrier de cette conception typique du discours universitaire - faut-il le souligner ?
Il alimentait son cours par le texte de Lacan dont la plupart de ceux qui le suivaient ne disposaient pas, où plutôt ne voulaient pas se les procurer, alors que dès 1980 ils étaient tous accessibles.
Ils avaient peur d’être fourvoyés, Miller les ravalant comme étant truffés d’erreurs, alors qu’il s’agissait de transcriptions originales de la parole de Lacan (souvent annotées de sa main) que celui-ci prêtait à ceux qui le lui demandaient pour en faire des photocopies.

Les élèves de Miller lui ont été - et le sont encore - d’une fidélité quasi-canine ; d’où s’explique un mode de diffusion politicienne de la psychanalyse, caractéristique de la nébuleuse millérienne internationale nommée « Champ Freudien ».

JAM a donc imposé de force sa conception de la chose pendant 20 ans à l’École de la Cause Freudienne qu’il avait fondée en faisant croire à ses membres que son fondateur en était Lacan. Tardivement, il a fini tout de même par dire qu’il s’agissait de lui.

Cette conception politicienne de l’expansion de la psychanalyse par le biais des institutions qu’il a « fondées » de par la monde a eu des conséquences désastreuses, dont la plus importante à mes yeux est impardonnable car elle concerne le passage de l’analysant au devenir analyste par l’émergence pour le sujet d’un désir inédit, inouï : le désir du psychanalyste.

En effet, Lacan avait inventé une procédure de la passe parce qu’il voulait savoir ce qu’il pouvait bien se passer dans la tête de quelqu’un pour vouloir être psychanalyste après avoir fait une analyse.

Lacan avançait que ceux qui le décident y viennent comme une « boule dans un jeu de trictrac ».

Il livrait ainsi la passe aux plus extrêmes aléas, comme il pouvait dire dans
Télévision que « tout est livré chez l’homme à la fortune » ; autrement dit : au hasard, lequel n’est pas sans loi, mais c’est une loi sans intention.

Lacan ouvrait donc là la page blanche d’un « espace vectoriel » qu’il s’agissait de parcourir par la pratique institutionnelle de cette procédure de la passe, avant de commencer à griffonner les premières lettres d’un réel nouveau qui pouvait peut-être « cesser de ne plus s’écrire » comme impossible.

Lacan avait donné, auparavant, quelques coordonnées épistémiques de ce moment de la structure qu’il a qualifié une seule fois de « traversée du fantasme ». C’est un hapax.

Mais Miller, naguère l’as du mathème à tout va, en a fait son cheval de bataille, selon son slogan fétiche - « l’Orientation lacanienne » - pour organiser la nouvelle procédure de la passe mise en fonction dans son École de la Cause Freudienne.
Tous ceux qui dérogeaient à ce dogme - la règle dans ce groupe pendant 20 ans - étaient immédiatement rejetés, calomniés, mis à l’index, etc., bref, traités de noms d’oiseaux diversement colorés et valables, l’humour en moins. Certains nouveaux impétrants allèrent même jusqu’à répéter chez Miller ce qu’ils devaient dire à leurs passeurs qui transmettraient au cartel-jury leurs propos pour décider s’ils étaient reçus ou collés.
Avec les conséquences institutionnelles que l’on sait : ruptures, scissions, tout ce que l’on désigne avec pudeur « querelles de chapelles ».
D’ailleurs, comment pourrait-il en être autrement puisque nous sommes des « épars désassortis » ?
Lacan avait pourtant été très prudent en écrivant que la passe n’était pas une obligation pour tous dans son école (qu’il appelait « monécole ») selon son axiome célèbre que « l’analyste ne s’autorise que de lui-même ».
Devant l’incompréhension du sens de sa Proposition du 9 octobre 1967
sur le psychanalyste de l’Ecole, il l’a prolongé par ces termes :…ne s’autorise que de lui-même « et de quelques autres ».
Il met sa formule en résonance avec une autre « l’être sexué ne s’autorise que de lui-même », en précisant que jamais puisse s’écrire le rapport d’un être sexué à celui de l’autre sexe.
Miller qui ne s’est jamais aventuré à faire « La passe », mais aussi bien les petits professeurs dont il a su s’entourer (trop de risques, ce n’était pas pour eux qui devenaient les caïds et les boss permanents de ses institutions) s’est quand même emparé de l’affaire, il serait toujours au poste de commande dans et pour les « jurys » de cette procédure de la passe dont il faisait un examen, pour « vérifier si le candidat, entre autres visées opportunistes, »était bien sous transfert".
Bref !
Très tardivement, vers la fin du 20e siècle, il semble que Miller ce soit quand même aperçu que la passe n’était pas du tout identique à celle qu’il avait gravé dans le marbre de ses élucubrations et même qu’on pouvait en trouver quelques traces dans l’enseignement de Lacan.
Seulement, voilà !
Rebelote :
Il est vrai que dans la répétition on ne répète pas la même connerie, mais cela n’empêche pas que cette nouvelle connerie est parfois pire que la précédente. En effet, Miller, à partir de la préface à l’édition anglaise du séminaire XI (mai 1976 ; Cf. Autres Écrits ; Seuil, pp. 571-573), fait l’invention d’un nouvel inconscient : « L’inconscient réel », qui serait inanalysable, non-transférentiel (sic, Miller !) qui se distinguerait de celui qui est analysable, l’inconscient de Freud, transférentiel (re-sic, Miller !).
Nous voilà donc ainsi affligés de deux inconscients ; comme si le savoir d’un seul n’était pas assez emmerdant comme ça !

Dans cette dérive sans retour il n’est pas le seul mais je ne donnerais aucun nom mais ceux qui qui sont un peu au parfum de ce qui se passe dans le marigot des institutions analytiques « post-Lacan » les reconnaitront.
C’est moins à la personne du nom que je m’en prends qu’à la marque de fabrique Miller et aux produits dérivés qu’elle met sur le marché.

Tout cela m’épuise.

Quelques autres ne voudraient-il pas prendre le relais pour y jeter un coup d’œil moins partisan que le mien ?

Pour ma part j’en viens à conclure sans appel qu’une école impossible de la psychanalyse viendra peut-être au jour dans la suite.

Patrick Valas, le 23 aout 2015, revisité le 23 aout 2018

PS : Notre époque est-elle à ce point ramollie pour qu’une critique raisonnée, articulée en bonne logique loin des passions, puisse produire un malentendu tel qu’on la réduise à la simple expression d’une haine ?
Et même si elle était passionnée, pourquoi pas, puisqu’il s’agit de l’amour du savoir.
J’entends bien « tout ça c’est du passé », mais zoui, mais zoui !
Dans la psychanalyse cela ne signifie aucunement qu’il faille renvoyer ça aux oubliettes de l’histoire, parce que, et cela est vrai pour tout un chacun :
« Ce qui se réalise dans mon histoire, n’est pas le passé défini de ce qui fut puisqu’il n’est plus, ni même le parfait de ce qui a été dans ce que je suis, mais le futur antérieur de ce que j’aurai été pour ce que je suis en train de devenir ».
Ce qui se passe aujourd’hui résulte de ce qui a été, mais pour que ce soit du nouveau encore faut-il le répéter en l’écrivant.

Patrick Valas, texte revisité le 23 aout 2015, revisité le 23 aout 2019