Le Phallus ou les phallus ?

jeudi 9 juillet 2009
par  P. Valas

L’ENFER DE LA BIBLIOTHEQUE

Publication de la BnF : Bibliothèque nationale de France
 

Enfer
 

LE PHALLUS ou les phallus ?


 

La mort
 

Le terme de phallus est familier aux ethnologues et aux historiens de l’antiquité grecque.
Il est souvent imagé sous la forme de l’organe mâle en érection.

Il présentifie le flux vital qui se transmet de génération en génération. Gage de fécondité et de puissance, le phallus est assimilé à une force naturelle mais aussi surnaturelle et magique. Les dieux ithyphalliques Hermès ou Osiris l’illustrent fort bien.

Le phallus peut aussi être représenté comme un symbole à vénérer — notamment dans le rituel des Mystères dans l’antiquité grecque.

La psychanalyse, en donnant au phallus comme symbole, le statut d’être un signifiant en position d’exception par rapport aux autres signifiants, va en faire un opérateur logique dans le discours de l’inconscient.

À cet égard il est remarquable que Freud puisse noter que dans certains rêves [1], le rêve étant une formation de l’inconscient, le phallus est représenté sous la forme d’un pénis détaché du corps — ce qui est déjà faire apparaître que le phallus n’est pas à confondre avec l’organe.

Cependant, au début de son œuvre il entretient encore cette confusion entre l’organe mâle et le phallus.

En effet, cinq ans après L’interprétation des rêves (1900), paraissent ses Trois essais sur la théorie de la sexualité [2]. Ce dernier livre sera remanié pendant vingt ans dans ses rééditions successives.

Freud y écrit que l’instauration de la sexualité se fait en deux étapes : prégénitale, puis génitale. Il subordonne alors le développement psychique à la maturation biologique du corps.
Mais sa théorie présente toujours un versant organiciste, qui la situe en conformité avec le courant de pensée s’inspirant des travaux de Darwin sur lesquels il veut appuyer sa découverte. Il s’agit d’une conception évolutionniste, phylogénétique, dans laquelle il met l’accent sur une ontogenèse, tributaire du développement biologique.

— Au début de son œuvre, le procès œdipien suit une pente "naturelle" : la femme doit aller à l’homme et réciproquement.

On en a l’exemple dans le cas de Dora. Il lui semble en effet tout à fait normal d’interpréter à sa patiente que monsieur K. est bien l’objet de son désir [3].

— Par la suite Freud modifie sa position [4] ; l’œdipe n’est plus du registre de la nature, c’est une structure qui surdétermine les choix contingents du sujet indépendamment de la différence anatomique entre les sexes [5].

L’œdipe est une structure dont le corrélât est le complexe de castration.

Ce complexe est défini de la façon la plus simple comme étant lié à l’absence ou à la présence du phallus avec les effets qui s’en produisent sur le sujet — excitation et autres manifestations symptomatiques.

À partir de ce moment, Freud ne parle plus du primat du génital mais du primat du phallus [6], par lequel la sexualité infantile se différencie de celle de l’adulte.

Le petit Hans (publié en 1909) en témoigne très bien par ses théories sexuelles de l’enfant [7].

Freud avance que pour les enfants des deux sexes, un seul organe génital, l’organe mâle, joue un rôle. Mais il précise bien qu’il s’agit là d’un primat du phallus et non plus du génital [8].

Il a déjà suffisamment souligné que le phallus n’est pas un objet, ni un fantasme, ni même l’organe qui est appelé à remplir cette fonction pour des raisons de discours. C’est pourquoi l’enfant, dépendant des significations du discours dans lequel il baigne, peut être amené à faire une attribution du phallus à sa mère dans son fantasme.

On a contesté l’existence de la phase phallique chez la petite fille, sous le prétexte que celle-ci n’ignore pas totalement le rôle de l’organe féminin dans la sexualité.

En effet, pourquoi dire qu’une femme serait privée d’un organe que la nature ne lui a pas donné ?

Cela ne peut se concevoir que parce que la privation dans le réel concerne un objet symbolique, c’est une loi que l’ordre du langage impose.

De nombreux débats sur l’existence ou non d’une phase phallique chez la petite fille auront lieu dans la communauté analytique pendant les années vingt.

Freud est parfois embarrassé pour répondre aux arguments de ceux qui s’opposent à sa conception. Il écrira même qu’après tout il se contente de parler de ce qui se passe chez le garçon, la connaissance des processus correspondants chez la petite fille lui faisant défaut.

Loin de voir dans ce propos un conseil de prudence sur cette question délicate, nombreux vont être les psychanalystes contemporains de Freud à se précipiter pour réfuter la notion de Penisneid (littéralement traduit par l’envie d’avoir un pénis). Pour étayer sa thèse du primat du phallus dans le développement de la sexualité, Freud s’appuie sur l’observation clinique, qui dégagera les arguments suivants :

— Si l’enfant perçoit bien la différence anatomique entre les sexes, cela ne l’empêche pas de commencer à attribuer un pénis à tous les êtres vivants. Cela fait partie des théories sexuelles infantiles dans lesquelles le phallus apparaît comme l’objet central du désir.

— Dans la mesure où l’enfant est sous la dépendance de l’amour porté à sa mère, il la suppose toute-puissante et va lui faire l’attribution d’un phallus dans son fantasme.

Freud l’écrit pratiquement en ces termes :

Ce qui est désiré par l’enfant chez sa mère bien aimée, c’est son « pénis adoré ». Il s’agit bien là, pour l’enfant d’une attribution phallique fantasmatique qui le pousse à s’engager avec sa mère au jeu de cache-cache phallus.

Le phallus imaginaire (imaginé aussi bien) est n’importe où et nulle part. Le petit Hans l’a très bien compris. Il le fait apparaître et disparaître à sa guise, comme en témoignent les dialogues et les relations très privilégiés qu’il a avec sa mère [9]. Hans sait bien en même temps, qu’il ne s’agit pas dans ce phallus imaginaire d’un organe réel. Il ne manque pas de faire remarquer à de nombreuses reprises, que si sa mère en l’avait, cet organe, il serait plus gros que celui d’un cheval.

C’est à partir de tels faits, issus de la clinique, depuis Le petit Hans(analysé en 1905 et dont le cas est publié en 1909), en passant par Un souvenir d’enfance de Léonard de Vinci (1910) [10] puis par son texte Quelques conséquences psychiques de la différence anatomique entre les sexes (1925) [11], et enfin dans Le fétichisme (1927) [12] que Freud peut éclairer le sens profond de cette attribution fantasmatique d’un phallus à sa mère par l’enfant.

Cependant si Freud ne conceptualisera pas la notion de phallus il en donnera une définition très précise :

Le phallus n’est pas l’organe, ni un objet ni un fantasme, c’est le pénis qui manque à la mère. Autrement dit, c’est en tant qu’il manque, que Freud le définit comme étant le phallus symbolique.

En l’écrivant phonétiquement, Lepénissekimankalamer, on peut faire apparaître par ce néologisme qu’il est un phallus signifiant en position d’exception, ce qui l’élève au rang de symbole.

Dans ce registre, l’image du pénis qui apparaît comme détaché du corps dans les rêves, représente bien le phallus symbolique distingué de l’organe.

Freud pose donc comme principe le primat de l’assomption phallique qui fait de la possession ou non du phallus l’élément pivot par lequel le choix des identifications sexuées (et non pas génitales) du sujet s’organise et se différencie. C’est de là que s’explique la dissymétrie qu’il y a dans l’œdipe, entre le garçon et la petite fille :

— La petite fille entre dans l’œdipe par le biais du complexe de castration, c’est à dire comme châtrée, et elle en sort par l’angoisse, qui fonctionne pour elle comme équivalence de la castration, car en réalité elle ne manque du phallus que symboliquement, elle n’est privée d’aucun organe.

— Le petit garçon entre dans l’œdipe par l’angoisse de castration, angoisse d’être châtré, il en sort par le complexe de castration, c’est à dire que plane toujours pour lui la crainte d’être châtré — Freud précise qu’il s’agît essentiellement d’une crainte qui s’enracine dans le narcissisme.

À lire Freud attentivement on s’aperçoit que l’opposition avoir le phallus ou être châtré ne se fait pas entre deux termes désignant deux réalités anatomiques distinctes, mais bien entre la présence et l’absence d’un seul terme. Or, seul un symbole peut connoter l’équivalence entre la présence et l’absence et donner ainsi au pénis sa signification phallique.

C’est en raison de la fonction de ce symbole que l’homme est dit avoir le phallus, alors qu’une femme on la dira châtrée.

On verra plus loin pour quelles raisons de structure, l’organe mâle peut être dit phallus, car c’est moins pour sa forme, que pour la jouissance privilégiée dont il est le siège. Cette jouissance, Freud la désigne fort bien : c’est la part de libido [13] qui reste fixée au corps propre parce que il y a toujours une part de libido qui n’est pas transférée sur l’objet.

Avec Lacan, le phallus va recevoir sa définition conceptuelle [14].

Il pose d’abord la question de savoir pourquoi l’assomption de son sexe par l’être parlant doit passer par une menace ou une privation qui interviendraient dans la structuration dynamique des symptômes du sujet — ce que la clinique montre ne jamais faire défaut ?

Cette problématique est déjà articulé par Freud à propos du complexe de castration comme corrélât de l’œdipe.

Pour Lacan, qui prolonge cette thèse, seule l’existence du signifiant peut expliquer l’extrême polymorphisme des manifestations du phallus dans tous les registres du discours humain. D’où cette définition :

"Le phallus c’est la signification, pas d’autre signification que la signification même" [15].

Le phallus comme signifié c’est précisément l’objet qui donne à l’enfant la signification des allées et venues de la mère, c’est à dire le phallus en tant qu’elle ne l’a pas et qu’i lui attribue dans son fantasme. C’est par ce biais qu’il va devenir l’objet central, pivot de toute l’économie du désir en tant que c’est le désir sexuel.

Pour Freud cette thèse ne fait pas de difficulté puisque, pour lui, par définition le désir c’est le désir sexuel.

Mais pour Lacan, qui définit le désir comme situé dans la métonymie de la chaîne signifiante comment corréler le désir au sexuel ?

Il faut donc pouvoir attribuer au désir un objet qui soit conforme à la structure de renvoi de la métonymie.

Cet objet toujours manquant est très précisément le phallus défini comme signification, c’est-à-dire le phallus en tant qu’il manque à la mère. C’est bien parce que cet objet est conforme à la structure de renvoi de la métonymie que l’articulation du désir au sexuel chez Lacan est possible, sinon il aurait affaire à une contradiction insoluble.

Autrement dit le sexuel entre dans la dialectique signifiante par le biais d’un manque. Pour le garçon comme pour la fille — cet objet c’est le phallus comme signifié.

Dans son texte La signification du phallus semble articuler le phallus comme signifié, mais Lacan va lui donner une nouvelle définition :

"Le phallus est un signifiant destiné à désigner dans leur ensemble les effets de signifié en tant que le signifiant les conditionne par sa présence de signifiant" [16].

Le phallus passe donc au rang de signifiant.

Alors que précédemment Lacan définissait le phallus comme signifié, il en fait à présent un signifiant. Deux questions se posent :

— Le phallus est-il le signifiant du désir, comme action du signifiant, ou bien le phallus est-il le signifié, comme passion du signifiant ?

— Comment résoudre cette difficulté ?

Lacan articule que le phallus comme signifiant privilégié du désir, c’est un signifiant qui est en position d’exception par rapport aux autres signifiants mais qui régit tout l’ordre du signifiant. La règle confirme l’exception et non pas le contraire.

Cela implique comme conséquence son élision de la chaîne signifiante. C’est un signifiant qui manque dans la chaîne, Lacan l’écrit (, petit phi). C’est parce qu’il manque que le phallus est imaginé par le sujet.

Une nouvelle difficulté apparaît encore : si par définition la batterie signifiante est complète dans l’Autre du langage, comment un signifiant pourrait-il manquer ?

Réponse, ce ne peut être qu’un signifiant dont le statut est d’exception [17].

Où se trouve-t-il ?

Dans la mesure où l’Autre n’est pas seulement le lieu du langage mais aussi celui du discours et de la parole, ce signifiant est refoulé dans l’inconscient, corrélé au refoulé primordial qui n’est jamais levé.

C’est pour cela que le phallus, refoulé dans l’inconscient ne peut jamais fonctionner que comme voilé — ce qu’illustrent fort bien les mystères antiques, où sa présence réelle est évoquée, mais au-delà du voile qui le masque.

La fonction imaginaire de l’objet phallique permet de l’instrumenter tout en voilant son manque.

Ainsi procède l’enfant confronté aux allées et venues d’une mère désirante : il lui attribue de manière fantasmatique un objet dont la signification phallique prend son sens, d’une part du discours qu’il entend et d’autre part des premières manifestations réelles de son organe.

Mais le phallus n’est pas seulement un objet, il est aussi le signifiant du désir (φ, petit phi), est comme tel l’index du manque-à-être [18] du sujet ($, le sujet divisé).

À cause de ce manque, le sujet ne peut pas épuiser la signification de son être. Il ne peut pas répondre à la question que suis-je ?

C’est ce qui définit la castration comme manque symbolique, dont l’objet, le signifié est le phallus imaginaire. On l’écrit (, petit phi), pour connoter la dimension de manque du signifiant qu’il voile en remplissant sa fonction de pouvoir être instrumenté par le sujet.

Dès lors le manque phallique de l’Autre (maternel), peut être ressenti par le sujet ($, le sujet divisé) comme une menace imaginaire portant sur son organe, mais il n’y croit pas vraiment. Mais l’angoisse de castration reste liée au manque radical auquel le sujet est confronté de ne pas pouvoir répondre à l’énigme de son être.

On comprend encore mieux pourquoi la castration peut être ressentie comme angoisse, dans la mesure où le sujet est confronté à l’expérience de son abolition, de devoir passer sous les fourches caudines du signifiant.

Lacan distingue deux phallus :

— Le phallus comme signifiant du désir qui est du registre du symbolique(φ, petit phi).

— Le phallus comme signifié (, petit phi) qui est l’objet imaginaire de la castration — ce dernier phallus n’étant pas le signifié du phallus signifiant.

Il y a un saut conceptuel considérable entre les deux. Leur rapport d’articulation s’inscrit dans le procès de la métaphore paternelle qui s’effectue dans le processus œdipien [19].

Dans ce procès, le signifiant dit Nom-du-Père se substitue au désir de la mère d(M), sans pour autant que le phallus signifiant du désir se substitue au phallus imaginaire qui serait son signifié.

Un lien s’établit entre eux par leurs fonctions respectives, qui ne s’échangent pas, dans ce que Lacan appelle l’hétéroclite du complexe de castration — terme venant là pour rappeler que les éléments réels, imaginaires et symboliques qui l’organisent sont hétérogènes.

Métaphore paternelle

Dans ce procès le phallus apparaît bien comme le signifiant privilégié destiné à représenter [20] :

— Dans l’imaginaire, le flux vital, dans sa turgescence.

— Dans le symbolique, au sens littéral, typographique de ce terme, il équivaut à la copule logique entre deux propositions.

— Dans le réel, il est le réel même dans la copulation, c’est à dire la jouissance en tant qu’elle serait sexuelle.

Dans son texte, Subversion du sujet… [21], Lacan va donner une nouvelle définition de sa conception du phallus, et de sa fonction :

L’Autre étant barré par le signifiant, la jouissance forclose de ce lieu fait retour dans le réel, elle en devient impossible.

C’est ce que le mythe de Totem et tabou articule sans ambiguïté. Le réel de la jouissance sexuelle est celle du chef de la horde. Son meurtre a pour effet, en l’élevant au rang de père mort, de père symbolique, de faire de lui le gardien, le garant de la jouissance, désormais perdue et impossible.

Par ce biais Lacan conjoint la jouissance sexuelle au phallus en tant qu’il est son signifiant [22].

Il relie par là la jouissance et le semblant. D’où des nouvelle définitions par où se distinguent :

— Le phallus symbolique (Φ, grand phi), c’est le signifiant de la jouissance [23].

— Le phallus comme signifiant du désir (φ, petit phi).

— Le phallus comme signifié (, petit phi), soit imaginaire. Ou imaginé pour le dire autrement.

Le phallus symbolique est un signifiant, mais à le prendre comme symbole il est un peu plus que cela, puisque entre tous, il est distingué, détaché, privilégié. Il est signe de reconnaissance, marque, monnaie d’échange.

À partir de ces trois définitions du phallus, élaborées par Lacan, c’est-à-dire le phallus symbolique signifiant de la jouissance (Φ grand phi), le phallus signifiant du désir(φ, petit phi) et le phallus signifié(, petit phi), il s’agit à présent de comprendre quelles sont leurs fonctions respectives dans l’articulation de la castration.

Pour le sujet, en effet, la légitimation de son désir s’inscrit au registre d’une dette symbolique, soit la castration, dont le prix à payer comporte pour lui un sacrifice [24].

En principe d’une dette honorée, on reçoit le quitus, sous la forme d’un symbole qui en fait foi, tout en la mémorisant au livre des comptes, on ne l’efface pas, on l’enregistre.

Pour ce qui concerne la castration, dette symbolique liée à un manque de signifiant, le sujet ne peut pas disposer de ce signifiant manquant. Il ne pourra honorer sa dette qu’en proposant en monnaie d’échange autre chose. Soit précisément le phallus signifié, qui instrumente le signifiant manquant tout en voilant son manque. On l’écrit(, petit phi) au niveau de l’objet, dans sa fonction imaginaire, pour indiquer ce manque.

L’enfant doit donc consentir à renoncer à la jouissance close et étrangère de la mère, c’est-à-dire à ne plus se proposer à être ou à avoir, l’objet phallique dont il lui avait fait l’attribution fantasmatique.

Ce qui veut dire pour l’enfant accepter d’entendre l’interdit portée sur sa jouissance masturbatoire — que cet interdit soit ou non suivi d’effets dans la réalité compte moins que le fait qu’il ait été prononcé.

Il est signifié par là à l’enfant que cette jouissance n’est pas la bonne, qu’il doit y en avoir une autre, mais aussi qu’il n’a pas l’instrument qui convient pour l’obtenir.

En ce point l’enfant sera frustré de son objet réel, celui qu’il trouve dans sa mère, le sein par exemple. En même temps il sera privé de la jouissance sexuelle, celle-ci étant alors projetée dans un futur idéal et représentée alors dans la figure de telle idole dont il s’énamoure ou de tel symbole à conquérir.

Voilà comment s’organise la constellation des éléments hétérogènes réels, imaginaires et symboliques qui constituent l’hétéroclite du complexe de castration [25].

On comprend, que le garçon puisse en ressentir comme une menace portant sur son organe, et la petite fille l’absence d’organe comme une privation.

Tout cela se traduit pour l’enfant par le fait qu’il ne dispose pas encore de plein droit de son acte désirant. Se reconnaître comme châtré symboliquement, après avoir reconnu la castration maternelle fera franchir un pas supplémentaire à l’enfant.

Freud précise bien qu’il s’agit d’un moment tournant dans l’œdipe. On peut saisir ici que la solution œdipienne pour chacun n’est pas la même. La privation acceptée, le sujet en recevra le sceau, sous la forme du phallus symbolique Φ (signifiant de la jouissance), comme s’il avait reçu une traite, une avance de crédit. En signant la reconnaissance de sa dette, il aura acquis légitimement le « baiser » pour l’avenir, mais pour des raisons signifiantes et non pas organiques.

Il en résulte qu’au sortir de l’œdipe, les positions subjectives du petit garçon et de la petite fille se distinguent à partir des formules suivantes en raison du rôle particulier que joue l’organe dans la problématique phallique. :

— Une femme, on la dit être le phallus symboliquement sans l’avoir.

— L’homme, on le dit n’être pas le phallus mais pas sans l’avoir symboliquement.

Le passage du phallus signifié dans sa fonction imaginaire(, petit phi), au phallus comme symbole (Φ) est rendu possible pour des raisons que Freud a parfaitement articulées [26].

Ce qui prédispose l’organe mâle à jouer un rôle central dans la problématique du phallus, tient d’abord à ce qu’il soit le siège d’une jouissance privilégiée.

Cependant ce n’est pas pour la qualité de cette jouissance aussi intense soit-elle, mais parce que au niveau de cet organe, la jouissance est objectivable, comptable coup par coup, et surtout qu’elle est limitée - c’est là son trait essentiel pour la fonction de représentation que l’organe va remplir.

En effet, qu’elle soit limitée prête mieux au fantasme d’une jouissance perdue au niveau du pénis. Freud écrit qu’il y a toujours une part de libido qui n’est pas transférée à l’objet et qui par conséquent reste fixée sur le corps propre, spécialement au niveau de l’organe érectile, qui concentre en lui même le plus intime de l’auto-érotisme.

Cela veut dire que dans tout objet, lequel est constitué selon la définition freudienne dans le cadre du narcissisme, il y a toujours une part de jouissance manquante, la part de libido qui est restée fixée sur le corps propre.

C’est pourquoi dans l’image du pénis, pris comme objet, le phallus manque à sa place, il est négativé(, petit phi) [27].

Il en résulte que l’organe érectile vient symboliser la place de la jouissance manquante parce qu’il représente la partie manquante dans l’image désirée ; il n’est pas là pour lui-même, ni comme image.

D’ailleurs le phallus caché n’est jamais mieux évoqué, que par un objet en train de disparaître, la détumescence l’illustrant de la façon la plus frappante, le phallus comme symbole étant alors détaché du pénis dans sa réalité anatomique. De plus, l’organe comme appendice du corps, se prête on ne peut mieux au fantasme de caducité, figurant le phallus comme séparé de cet organe du corps.

Le pénis a donc tous les traits requis pour remplir une fonction de représentation symbolique. S’y ajoute encore le caractère particulier de la jouissance dont il est le siège. La limitation même de cette jouissance, fait apparaître qu’à son niveau, elle se noue à son interdiction.

La preuve en est que toutes les tentatives de dépasser certaines limites ramènent la jouissance convoitée à la brièveté de l’auto-érotisme. L’insatisfaction et la culpabilité qui l’accompagnent, presque toujours, témoignent de l’incidence de la Loi.

Au niveau de l’organe dit phallus, un nouage se produit entre la soustraction du phallus dans l’image spéculaire et la soustraction de la jouissance forclose du lieu de l’Autre.

Dans ce passage de l’imaginaire au symbolique, le phallus manquant(, petit phi) , devient le phallus symbolique(Φ, grand phi).

Le phallus symbolique est identifié au manque de l’Autre, soit à la jouissance forclose de ce lieu. Très précisément ici, la jouissance forclose du lieu de l’Autre fait retour dans le réel comme impossible. Or selon la conception de Lacan ce qui est forclos du symbolique fait retour dans le réel. Tel est le statut signifiant de cette jouissance. Par ce biais Lacan pourra distinguer par la suite le jouissance phallique(φ, petit phi),causée par le signifiant, de la jouissance de l’Autre (JA) comme impossible

Le phallus symbolique étant équivalent à la jouissance, il est impossible à négativer, puisqu’il est le symbole même de son manque. C’est pourquoi Lacan peut qualifier le phallus symbolique(Φ) de signifiant de la jouissance.

De ce signifiant en position d’exception, il va faire un opérateur logique du discours de l’inconscient en l’élevant au rang de Nom du Père [28]. Le flottement précédent que l’on percevait dans la presque homologie de structure d’exception entre(φ, petit phi, signifiant du désir) et Φ (signifiant de la jouissance) est maintenant résolue.

Par cette articulation Lacan fait apparaître que le Nom du Père a une double fonction. Il est support de la Loi dont se détermine le désir, mais il entre aussi en fonction dans l’économie de la jouissance.

Patrick Valas. In les di(t)mensions de la jouissance. Publié en 1997, il sera réédité en 2010.

1. S. Freud, L’interprétation des rêves. P.U.F, Paris 1971. Traduit par I. Meyerson.

2. S. Freud, Trois essais sur la théorie de la sexualité. Idées/Gallimard, Paris 1974.

3. S. Freud, « Le cas Dora », in Cinq psychanalyses, P.U.F. Paris 1972.

4. S. Freud, « L’homme aux loups », in Cinq psychanalyses, P.U.F. Paris 1972.

5. S. Freud, « L’organisation génitale infantile », in La vie sexuelle, P.U.F., Paris 1969

6. S. Freud, L’organisation génitale infantile, op. cit.

7. S. Freud, « Le petit Hans », in Cinq psychanalyses, op. cit.

8. S. Freud, « l’enfant accède à l’organisation génitale, mais à la différence de l’adulte, il pense que les deux sexes ont le même organe génital, l’organe mâle ; il s’agit donc du primat du phallus (ceci n’étant pas sûr pour le petit garçon) ». « L’organisation génitale infantile », in La vie sexuelle, P.U.F, Paris 1973. P. 114.

9. S. Freud, « Le petit Hans », op.cit.

10. S. Freud, Un souvenir d’enfance de Léonard de Vinci. Paris, Idées/Gallimard, 1992.

11. S. Freud, « Quelques conséquences psychiques de la différences anatomique entre les sexes ». In La vie sexuelle, Paris, PUF, 1970.

12. S. Freud, « Le fétichisme ». Idem.

13. S. Freud, « Pour introduire le narcissisme ». Idem.

14. Lacan en parle tout au long de son enseignement, mais le moment de son émergence comme concept peut se lire dans son séminaire Le transfert, et dans deux textes publiés dans les Écrits, La signification du phallus (1958) et Subversion du sujet et dialectique du désir, ce dernier texte est daté de 1960, mais il semble bien qu’il ait reçu l’apport d’éléments nouveaux puisqu’il a été publié pour la première fois dans les Écrits en 1966.

15. J. Lacan, « La signification du phallus ». In Écrits, op. cit. La même définition est reprise dans « Un discours qui ne serait pas du semblant », op. cit. séance du 10 mars 1971, p. 77-96. Et dans …Ou pire, séance du 3 février 1972. (Non publié).

16. J. Lacan, « La signification du phallus », op.cit., p. 690.

17. Il faut lire quelle solution Lacan donne à ce problème dans « Subversion… » in Écrits, p. 819

18. À cet égard Freud dit que le phallus est toujours à l’horizon des trébuchements de la parole, c’est-à-dire, des lapsus, des actes manqués et du mot d’esprit.

19. J. Lacan, Les formations de l’inconscient. Seuil, Paris 1998, p. 161-197.

20. J. Lacan, « La signification du phallus », in Écrits, p.692.

21. J. Lacan, Subversion…, p.823.

22. J. Lacan, « D’un discours qui ne serait pas du semblant ». Op. Cit. Leçon du 20 janvier 1971, p.33 : C’est que le réel à proprement parler s’incarne de quoi ? De la jouissance sexuelle, comme quoi ? Comme impossible, puisque ce que désigne l’œdipe, c’est l’être mythique dont la jouissance serait celle de quoi ? De toutes les femmes.

23. J. Lacan, « Subversion… », p. 823.

24. J. Lacan, « Subversion… », op.cit. p. 822-823.

25. On donne ici le tableau élaboré dans La relation d’objet notamment dans les séances du 13 mars (p. 215) et du 3 avril 1957 (p. 269). Paris, Seuil 1993.

Castration privation frustration

26. S. Freud, « Pour introduire le narcissisme ». Op. cit.

27. Lire sur ces points « Subversion… », op. cit. Écrits, p. 822 et 823.

28. J. Lacan, Le réel de la jouissance sexuelle, en tant qu’elle est détachée comme telle, autrement dit le Nom du Père…, « D’un discours qui ne serait pas du semblant ». Op. Cit. Leçon du 20 janvier 1971, p 34. Paris, Seuil, 2006.


Commentaires  Forum fermé

Logo de francoise hubé
Le Phallus ou les phallus ?
jeudi 23 avril 2015 à 18h52 - par  francoise hubé

super comme articulation et comme repères…et comme repères dans les textes.merci
Françoise Hubé