Lucile Mons : Violence de la compréhension et éthique du malentendu.

mercredi 1er janvier 2020
par  P. Valas

Lucile Mons : Violence de la compréhension et éthique du malentendu.

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« C’est justement ce petit mot, ce mot d’ordre des éclairés – comprendre – qui fait tout le mal.
C’est lui qui arrête le mouvement de la raison, détruit sa confiance en elle-même, la met hors de sa voix propre en brisant en deux le monde de l’intelligence, en instaurant la coupure de l’animal tâtonnant au petit monsieur instruit, du sens commun à la science.
Dès lors qu’est prononcé ce mot d’ordre de la dualité, tout perfectionnement dans la manière de faire comprendre, cette grande préoccupation des méthodistes et des progressistes, est un progrès dans l’abrutissement. »
Jacques Rancière, Le maître ignorant1
« Le monde ne marche que par le malentendu.
C’est par le malentendu universel que tout le monde s’accorde.
Car, si par malheur, on se comprenait, on ne pourrait jamais s’accorder. »
Charles Baudelaire, Mon cœur mis à nu, XLII

Dans tous les champs de la vie sociale, la compréhension de soi-même comme la compréhension des autres apparaissent comme des impératifs aussi bien éthiques que politiques.
Ces deux directions – de soi, des autres – seraient les deux faces complémentaires, indissociables, nécessaires l’une à l’autre, d’un même effort, celui d’une compréhension émancipatrice.
Pourtant, ni la nature, ni la possibilité, ni la légitimité d’une telle démarche, ni la conception du sujet – ou de son absence, ce qui est aussi une manière de conception – qui la sous-tend ne sont jamais interrogées.
Dans le champ politique, si les citoyens revendiquent le droit à « être compris », les gouvernants réduisent le désaccord politique à l’erreur et à la maladresse de communication.
C’est en suivant cette idée que nos gouvernants, pour que nous puissions les comprendre, s’appuient sur des « éléments de langage » et regrettent parfois de n’avoir pas fait suffisamment de « pédagogie ».
La « mauvaise compréhension » ou « l’incompréhension » constitueraient alors, selon cette conception, le terreau du conflit et de la violence.

Pour la psychanalyse à l’inverse, l’idée que la pratique de l’analyste se démarque d’autres pratiques par le refus de tenir une position de compréhension est fondamentale.
Appuyons-nous pour commencer sur l’affirmation de Lacan au début du Séminaire III :
« Commencez par ne pas croire que vous comprenez. Partez de l’idée du malentendu fondamental. […]
C’est toujours le moment où ils ont compris, où ils ont comblé le cas avec une compréhension, que les analystes ont raté l’interprétation qu’il convenait de faire ou de ne pas faire.
Cela s’exprime en général en toute naïveté par la formule – Le sujet a voulu dire ça.
Qu’est-ce que vous en savez ?
Ce qu’il y a de certain, c’est qu’il ne l’a pas dit. Et le plus souvent, à entendre ce qu’il a dit, il apparaît qu’une question
aurait pu être posée, qui aurait peut-être suffi à elle seule à constituer l’interprétation valable, et au moins à l’amorcer. »
2

Pourquoi refuser cette position de compréhension et qu’est-ce qui vient à la place ?
En quoi ce refus situe-t-il précisément la pratique de la psychanalyse ?
Entendre et comprendre.
En enjoignant les analystes à partir du principe d’un malentendu fondamental, qui est aussi une exigence éthique, Lacan distingue, et même oppose, comprendre et entendre.
Cette distinction apparaît dès les premiers temps de son travail.
Elle demeure, ensuite, constante. Il s’agit surtout, en s’appuyant sur cette distinction, de montrer qu’entendre exige de refuser le plan de la compréhension.

Entendre suppose d’admettre que quelque chose est à dire.
Mais, comme nous l’indique Lacan dans le passage précédent, entendre que quelque chose est à dire ne revient pas à croire qu’on a compris ce que l’analysant voulait dire.
À l’inverse, entendre serait souligner ce qui est en souffrance dans ce qui est dit, ou plutôt qu’il y a quelque chose qui reste à dire. En ce sens, entendre ce serait toujours adresser une question qui souligne ce qu’il y a de manque, une question qui n’anticipe pas sur ce manque et ne prétend pas pouvoir le combler, sans quoi la question n’en est pas une. Or, c’est cette question qui conditionne la possibilité de la parole à venir.

Ainsi l’acte d’entendre est-il incompatible avec la totalisation propre à la compréhension (qui renvoie bien à l’origine au fait d’englober et de contenir).
La compréhension serait alors du côté de de l’explication, de la réduction – puisqu’il s’agit pour la compréhension de combler les vides – et donc du forçage.
En ce sens, la compréhension n’admet l’équivoque que pour pouvoir la diluer, l’éclaircir, l’expliquer, la rabattre sur le choix d’une signification.
Pour la compréhension, l’équivoque enjoint à résoudre la tension de la coexistence de plusieurs possibles :
« Ça voulait donc dire ça. »
À l’inverse, entendre reconnaît l’équivoque comme pluralité irréductible de significations coexistant en même temps.
Cet acte-là s’appuie sur la tension de la pluralité et la souligne plutôt qu’il ne cherche à l’aplanir.
Ici, c’est l’équivoque-même qui fait sens et non sa réduction à l’un des possibles qui la constituent.

Cette première distinction entre comprendre et entendre s’appuie donc sur deux manières d’approcher la parole.
Or, ce n’est pas par son contenu positif que ce qui est dit est a priori de l’ordre de la parole, ce n’est pas non plus parce que quelque chose est dit qu’on se trouve nécessairement face à de la parole : c’est la manière dont est entendu ce qui est dit qui fabrique la parole.
Ce n’est qu’à se situer hors du plan de la compréhension que l’on reconnaît celui qui dit comme sujet d’une parole, de quelque chose qui parle à travers lui et reste à entendre.
En ce sens, s’il y a bien une violence dans la position de compréhension, elle se situe précisément dans le fait de refuser le statut propre de la parole et donc du sujet.
L’opposition entre comprendre et entendre est très claire dans ce passage de « La Direction de la
cure et les principes de son pouvoir »3 :
« L’entendement [à comprendre ici non pas comme la faculté mais comme l’acte d’entendre substantivé] ne me force pas à comprendre […]
À ce que j’entends sans doute, je n’ai rien à redire, si je n’encomprends rien, ou qu’à y comprendre quelque chose, je sois sûr de m’y tromper.
Ceci ne m’empêcherait pas d’y répondre.
C’est ce qui se fait hors l’analyse en pareil cas.
Je me tais.
Tout le monde est d’accord que je frustre le parleur, et lui tout le premier, moi aussi.
Pourquoi ?
Si je le frustre, c’est qu’il me demande quelque chose.
De lui répondre, justement. Mais il sait bien que ce ne serait que paroles.
Comme il en a de qui il veut.
Il n’est même pas sûr qu’il me saurait gré de bonnes paroles, encore moins de mauvaises.
Ces paroles, il ne me les demande pas.
Il me demande…, du fait qu’il parle : sa demande est intransitive, elle n’emporte aucun objet. »
Ce qui apparaît clairement ici, c’est bien qu’entendre est un acte qui définit la position-même de l’analyste.
Les expressions de « bonnes » et de « mauvaises » paroles peuvent signifier plusieurs choses : elles peuvent être, d’abord, les paroles agréables ou désagréables pour l’analysant ; elles peuvent être, aussi, des paroles qui témoignent d’une bonne ou bien d’une mauvaise « compréhension ».
Dans tous les cas, ce qu’on continue d’appeler « paroles » faute d’un autre mot échoue à répondre à la demande de
l’analysant.4
Plus encore, c’est une position qui trahit cette demande en s’y laissant prendre.
Bien évidemment, il ne s’agit pas pour Lacan de prôner le recours systématique au silence comme seul moyen de produire la parole et de répondre à la véritable demande de l’analysant.
Par le « je me tais » nous devons plutôt entendre l’assomption d’une asymétrie dans la relation constitutive de l’analyse.
Ce que Lacan désigne par la compréhension, c’est donc non seulement un certain rapport, celui d’une appréhension totalisante, au discours mais aussi une position dans la relation qui oriente le discours.
Il s’agit, nous y reviendrons, du refus de l’asymétrie des positions constitutive de tout discours.
C’est en ce sens que « l’entendement » ou la « compréhension » fabriquent respectivement de la parole ou du bla-bla.
On peut, dès lors, formuler l’impératif que Lacan nous adresse à partir de deux exigences complémentaires : celle de distinguer entendre et comprendre ; celle de partir d’un malentendu fondamental.
Le malentendu
Si l’on comprend bien la distinction entre compréhension et entendement, si l’on peut admettre que la compréhension se situe du côté d’un forçage et donc d’une violence faite au sujet, comment concilier à la fois l’exigence de l’entendement et celle du malentendu ?
En d’autres termes, comment se fait-il que le malentendu dont parle Lacan ne soit pas lui-même une forme de violence ?

Dans les séminaires, nous pouvons retrouver principalement deux manières pour Lacan de se référer au malentendu :
1/ Il y a, souvent, le malentendu que Lacan cherche à « balayer » : c’est celui qui fait obstacle à la réception de son propos.
Ces malentendus sont corrigés régulièrement en début des leçons du Séminaire selon les remarques et les questions que Lacan reçoit d’une séance à l’autre.
Lacan analyse cette forme de malentendu comme le produit d’un désir de comprendre, au sens d’un désir de maîtrise, et pour cela de faire disparaître ce qu’il y a d’inédit, d’inouï et donc d’inquiétant dans ce qu’il raconte.
En effet, le malentendu est ici produit par le fait de rabattre l’inconnu sur du déjà connu plutôt que de laisser place à
une étrangeté qui permettrait la pensée.
Pour répondre à ce malentendu-là, Lacan précise et reformule d’une séance à l’autre, cherchant à réinstaller l’étrangeté au cœur de son discours.
Mais on peut aussi dire que sa réponse consiste, plus fondamentalement, dans ses efforts constants pour construire, tout au long de son enseignement, un langage qui court-circuite toute tentative d’appropriation et d’usage pratique de son discours sur le mode, précisément, d’une compréhension.
On pourrait dire que Lacan cherche ici à retrouver une autre forme de malentendu, condition cette fois de toute parole.
2/ En effet, le malentendu est condition fondamentale de toute parole, de toute communication, de tout dialogue.
C’est donc ce malentendu-là qu’il faudrait prendre comme principe.
Avant d’avancer dans sa définition, distinguons-le d’emblée de l’incompréhension.
En quoi les analystes pourraient-ils « pratiquer le malentendu » sans exercer pour autant la violence que produit l’incompréhension ?
Il faut alors poser que l’incompréhension n’est pas plus, mais pas moins, violente que la compréhension.
Elle en est le pendant : à se situer sur le plan de la compréhension, on comprend ou pas, mais dans tous les cas, on n’entend pas.
D’ailleurs, dans le passage déjà évoqué de « La Direction de la cure », on voit bien que les « bonnes » (celles qui seraient perçues par l’analysant comme le signe qu’il a été compris) comme les « mauvaises » paroles (celles qui seraient à l’inverse perçues comme le signe d’une incompréhension) sont mises sur le même plan.
Si l’incompréhension est l’inverse de la compréhension, le malentendu en est bien le contraire : l’incompréhension est l’échec d’une compréhension visée ; le malentendu n’est pas un échec mais un ratage structurel, consubstantiel de l’entendement. Pourquoi le malentendu serait-il alors la condition de possibilité de la parole et de son entendement (puisque ces deux termes vont ensemble : la parole ne préexistant pas au fait d’être entendue) ?
Si le malentendu est condition de la parole, c’est bien d’abord au sens premier parce que si nous savions ce que nous disons, nous cesserions de parler : « la parole va d’un sujet qui ne sait pas ce qu’il dit, car à tout instant le seul fait que nous parlons prouve que nous ne le savons pas, c’est bien là le fondement même de l’analyse, que nous en disons mille fois plus qu’il n’en faut pour faire couper la tête. »
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Il serait plus supportable de ne rien dire que d’entendre ce que nous disons.
Ainsi, s’il y a malentendu, c’est d’abord de chaque sujet avec lui-même.
C’est la présence de l’analyste qui donne au malentendu sa consistance en le rendant opérant et en faisant de lui un élément constitutif du dispositif analytique : parce que le malentendu se met à exister comme tel, la parole est rendue nécessaire comme perpétuel réajustement.
C’est donc le malentendu qui permet au langage d’être autre chose qu’un mur spéculaire entre l’analyste et l’analysant, autre chose que du bla-bla.
On saisit mieux pourquoi l’analyste doit partir de l’idée du malentendu fondamental : il ne peut désigner le malentendu qui permettra à l’analysant d’apprendre à parler s’il comprend, lui, ce que l’analysant voulait dire.

Le malentendu est inhérent à l’interprétation : dans le Séminaire IV à propos d’une interprétation produite à l’égard du petit Hans, Lacan nous dit :
« Cette observation se développe tout entière sous le registre du malentendu.
J’ajouterai que c’est le cas ordinaire de toute espèce d’interprétation créatrice entre deux sujets. […] Et c’est justement dans la béance de ce malentendu que développe autre chose qui aura sa fécondité. »

6 Toute la psychanalyse repose bien sur l’idée que chaque sujet est petit système dont les signifiants ne sont pas ceux d’un autre. Entre chaque sujet, il y a bien la
béance du malentendu, béance de deux systèmes impossibles à superposer qui fait de toute relation de
communication une relation de malentendu.
Ce malentendu peut être conscient ou non, assumé ou non : interpréter c’est, d’ailleurs, reconnaître qu’il y a malentendu. Alors, l’interprétation peut se situer du côté de la traduction, si l’on admet tout ce qu’une traduction a toujours de ratage, et tout ce que ce ratage a de créateur.

Dans la cure analytique, ce malentendu est rejoué et impliqué par le dispositif : l’idée d’un « sujet supposé savoir » renvoie bien à un malentendu fondé par le dispositif lui-même.
En effet, c’est bien par le dispositif qu’un savoir est prêté à l’analyste.
Cette supposition repose sur un malentendu, une méprise, dont les effets ne sont pas à regretter puisqu’ils sont précisément ce qui structure l’acte analytique :
« Dans la structure de la méprise du sujet supposé savoir, le psychanalyste (mais qui est, et
où est, et quand est, épuisez la lyre des catégories, c’est-à-dire l’indétermination de son sujet, le psychanalyste ?), le psychanalyste pourtant doit trouver la certitude de son acte et la béance qui fait sa loi. »
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Nous pouvons maintenant distinguer malentendre (qui serait un principe fondamental du travail de l’analyste) et mal-entendre (que l’on lirait comme une absence d’entendement, comme le fait de ne pas entendre en cherchant à comprendre).
À partir de cette dernière idée d’un malentendu constitutif du dispositif analytique, nous pouvons mieux identifier la violence contenue et exercée par la position de compréhension.
Le refus du semblant.
Pour conclure, à partir de cette dernière idée d’un malentendu inhérent au dispositif analytique, on peut considérer que la position de compréhension est violente parce qu’elle refuse l’asymétrie des positions, asymétrie constitutive de tout discours. La compréhension s’appuie en effet sur l’idée d’une réciprocité symétrique entre les différents membres de la « relation de communication ».

Dans la formalisation des quatre discours par Lacan, les lettres changent de sens en même temps qu’elles changent de place mais la place de l’agent est toujours celle du semblant.
Ce n’est pas toujours le même semblant mais c’est toujours du semblant, c’est-à-dire un « tenant-lieu », qui est agent du discours.
Voilà ce que dit Lacan en 1974 dans La Troisième en s’adressant aux analystes : « Il n’en reste pas moins que de l’être, il faut que vous n’en fassiez que le semblant.
Ça, c’est calé.
C’est d’autant plus calé qu’il ne suffit pas, qu’il ne suffit pas d’en avoir l’idée pour en faire le semblant. […]
Il n’y a pas un seul discours où le semblant ne mène le jeu.
On ne voit pas pourquoi le dernier venu, le discours analytique, y échapperait.
Ce n’est quand même pas une raison pour que dans ce discours, sous prétexte qu’il est le dernier venu, vous vous sentiez si mal à l’aise que de faire, selon l’usage dont s’engoncent vos collègues de l’Internationale, un semblant plus semblant que nature, affiché ; vous vous rappelez que le semblant de ce qui parle comme espèce, il est là toujours dans toute espèce de discours qui les occupe, qui est quand même une seconde nature. Alors, soyez plus détendus, plus naturels quand vous recevez quelqu’un qui vient vous demander une analyse.
Ne vous sentez pas si obligés à vous pousser du col. »
Tenir lieu, ce n’est pas être, nous dit Lacan.
Tenir lieu, c’est accepter une fonction, une position et accepter ce que cette fonction engendre.
C’est une affaire de logique : « il ne suffit pas d’en avoir l’idée
pour en faire le semblant », il faut occuper la fonction.
Tenir lieu, ce n’est pas non plus devenir la fonction, s’y identifier.
À partir de là, on peut penser que « faire un semblant plus semblant que nature », « se pousser du col » et refuser le semblant, refuser d’occuper une fonction, c’est la même chose.
Dans lesdeux cas, il s’agit de refuser de tenir lieu de ce qui produit le discours.
Au fond, celui qui se « pousse du col », qui « se prend au sérieux », qui s’identifie à sa place, et celui qui refuse sa position dans le discours font exactement la même chose.
C’est précisément là que peutse nicher une violence au sein même de la parole.
Car alors, tout ce qui est dit, y compris sur le mode dela bienveillance, devient violent, et même si l’analysant, ou le patient dans d’autres types de pratiques,n’est pas en mesure de le saisir.
C’est une violence au sens propre, parce que c’est un forçage.
C’est précisément le fait d’occuper une certaine position dans le discours, sans s’y identifier mais sans s’y soustraire, qui conditionne la possibilité de la parole et qui protège de la violence.
Une question politiqueLa question de la fonction et du devenir du semblant est une question politique : elle interroge
l’idée de place, de position, et pose la question du pouvoir.
Cette question, sans pour autant que le terme de semblant ne soit utilisé, est aujourd’hui posée en permanence dans les différents champs de la vie sociale : dans le domaine de l’éducation, différentes réflexions incitent à interroger, voire à critiquer, les relations et les rôles qui sont à l’œuvre dans l’enseignement ; dans celui du « soin », entre autres, on entend parler de la remise en question de la toute-puissance du « sachant » ; dans le domaine politique, on critique la « verticalité » des relations de pouvoir au profit d’une nécessaire « horizontalité ».
C’est la potentielle violence de ces différents types de relations instituées qui est ici interrogée.
Cette interrogation est importante et légitime car il est vrai qu’une violence s’exerce, comme nous l’avons vu, lorsque celui
qui occupe une place s’identifie à cette dernière.
Dans l’éducation par exemple, ce questionnement a permis d’interroger la position de l’élève comme celle d’un simple réceptacle passif de savoirs déjà constitués.
Dans la médecine, c’est aussi ce discours qui permet au patient de refuser d’être l’objet d’un discours médical qui lui est étranger.
Sur le plan politique, il est légitime d’interroger les modalités du pouvoir et de la représentation, et la manière dont des décisions se prennent qui impliquent la vie des individus sans que ces derniers n’y participent.
Ainsi, au milieu de cette mise en question des positions instituées par les relations sociales et de leurs attributs, il est périlleux de défendre l’hétérogénéité des positions sans que cela ne soit confondu avec un discours réactionnaire ou conservateur.
Or c’est là encore le produit d’une confusion : occuper une place n’est pas l’être et toute asymétrie n’est pas verticale. Reconnaître qu’il existe différents discours et différentes relations constituées par différentes places, accepter le semblant, sont nécessaires au fait de pouvoir interroger ces places et leurs effets. Il est nécessaire, pour interroger la violence potentielle d’une relation, de pouvoir s’en situer.
Si l’on admet que des relations de domination traversent toutes les relations humaines, un discours de refus de l’asymétrie des positions produit l’effet inverse de ce qu’il affiche : il rend possible à la domination de s’exercer sans être interrogée, sans même être aperçue.
Mais attention, reconnaître l’existence de ces différentes positions et leur asymétrie, ce n’est pas non plus les essentialiser (ce en quoi consiste, là cette fois, le conservatisme).

Nous avions défini la position de compréhension par deux caractéristiques qui pourraient paraître contradictoires : une forme de désir de puissance se manifestant dans la dimension totalisante de la compréhension ; un « égalitarisme » se manifestant dans le refus de l’asymétrie des positions.
Il apparaît que ces deux dimensions de la compréhension, loin d’être contradictoires, sont complémentaires : il n’y a pas de meilleur moyen pour exercer une domination que de la rendre invisible.
Ce qui distingue la pratique analytique de toute autre pratique est qu’elle se situe d’un discours, et de ses places, dont elle
interroge les effets.
C’est précisément en cela qu’elle permet à une parole d’advenir et qu’elle interdit toute forme de violence, de forçage.

Notes :
(1) RANCIERE Jacques, Le Maître ignorant, Paris, Fayard, 1987, pp. 17-18
(2) LACAN J., Le Séminaire, Livre III, Les Psychoses, Paris, Seuil, 1981, p. 29
(3) LACAN J., Les Écrits, Livre II, Paris, Seuil, 1966, p. 94
(4) On retrouve très précisément cette même idée, quinze ans plus tard, dans … ou pire [LACAN J., Le Séminaire, Livre XIX, Paris, Seuil, 2011, p. 92] : « N’est-il pas clair que ce dont ce fonde le discours de l’analysant, c’est justement ça, je te demande de me refuser ce que je t’offre, parce que c’est pas ça ?
C’est la demande fondamentale et c’est celle que, à la négliger, l’analyste fait toujours plus prégnante.
J’ai ironisé en un temps – avec de l’offre, l’analyste fait de la demande.
Mais la demande qu’il satisfait, c’est la reconnaissance de ceci de fondamental, que ce qui se demande, c’est pas ça. » : se situer du côté de la compréhension, c’est bien échouer à reconnaître que c’est pas ça.
(5) LACAN J., Le Séminaire, Livre II, transcription Staferla, Séance du 8 juin 1955
(6) LACAN J., Le Séminaire, Livre IV, La Relation d’objet, Paris, Seuil, 1994, p. 341
(7) LACAN J., « La Méprise du sujet supposé savoir », 14 décembre 1967, Scilicet, no 1, pp. 31-41


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