Les lettres dans le réel qui ne font pas chaine.
A propos de mon texte La psychosomatique, un fétiche pour les ignorants (sur le site).
Marcel-Francis Kahn, à qui j’avais envoyé ce texte, parce que je cherchais un soutien qui m’a toujours manqué du côté de la médecine, l’a lue point par point, lettre par lettre.
A ma grande surprise, de son point de vue de grand médecin, il a approuvé chacun de mes termes.
Il est assez rare qu’un Patron de cette renommée puisse faire montre d’une telle culture freudienne, allant même interpréter à propos de l’envoi de sa réponse un retard dû à un acte manqué.
Grâce a son soutien j’ai pu continuer mes études dans ce champ si inconsistant de la dite psychosomatique.
On y rencontre trop rarement le meilleur, et presque toujours le pire.
Soit une conception des choses en ce domaine qui relève étrangement de la pensée magique. Pas de la science médicale.
Freud, qui n’a jamais usé du terme de psychosomatique, s’il lisait l’immensité de cet océan de fausse science (que constituent les élucubrations de ces auto-proclamés spécialistes, pouvant remplir les rayonnages de plusieurs plusieurs super-marchés culturels), s’en tamponnerait le coquillard et moi de même.
Université de Paris VII-faculté Xavier Bichat.- Assistance Publique des hôpitaux de Paris.
Professeur Marcel-Francis Kahn.
Médecin de l’hôpital Bichat.
Service de Rhumatologie.
46 rue Henri Huchard.
75 0 18 Paris
Tél : 01 40 25 74 00
Mon cher Patrick
D’abord, un grand merci pour l’envoi de ton article que j’ai immédiatement lu dans la mesure où j’ai retrouvé traité avec une grande honnêteté intellectuelle et une ouverture d’esprit pas toujours présent dans le milieu psy une problématique qui m’intéresse et m’interpelle.
Je n’utilise jamais le mot psychosomatique, qui tant chez les soignants que chez les patients a des connotations confuses, source de malentendus et de ruptures dans la relation thérapeutique (« Docteur, vous me dites que c’est dans la tête » est une phrase classique qui traduit souvent un déficit de connaissance, ou de traitement et thérapeutique, correct de la relation diagnostique
Tu te doutes peut-être que j’appartiens essentiellement au premier courant, ce qui, bien sûr, ne m’empêche pas de reconnaître l’existence et l’intervention de l’appareil psychique dans la modulation, voire la production des symptômes lésionnels ou fonctionnels (au sens biochimique du terme).
À ce propos, cependant, deux remarques :
1) Il n’y a pas de raison de chercher une théorie unitaire quand on est tenant (ce terme est un peu dur) de l’homme biologique - il est tout à la fois neuronal, hormonales, génétique et immunitaire - les connaissances actuelles permettent d’accepter que ce sont là des facettes différentes mais interconnectées dans la réalité biologique qui n’empêche nullement d’étudier plus spécifiquement les « bouts de réel ».
2) Nous ne sommes aujourd’hui malgré tous les progrès, qu’à un moment donné de la connaissance et le désir de « tout » savoir est un rêve asymptotique - la boîte noire du fonctionnement neuronal est loin d’avoir tout livré, à commencer par la structure et le mode d’expression de l’inconscient et de son étude par les rêves. Aucun membre du courant « tout biologique » n’a de réticence à admettre l’inconscient et même le rôle dialectique du langage.
Un exemple de cette boîte noire qui se présente aux cliniciens et qui d’ailleurs me passionne depuis longtemps : les manifestations conversionnelles de l’appareil locomoteur - même si leur psychogenèse peut-être prise en compte (expliquée ??) par les théories analytiques, leur mode de production « neurologique » et les voies par lesquelles ces manifestations s’expriment reste un grand mystère.
Par ailleurs, es-tu sûr que la spécificité parlante du corps humain n’a pas d’équivalent dans le règne animal ? Les dauphins, être très évolués, communiquent entre eux par des signaux acoustiques très sophistiqués - tu l’évoque d’ailleurs - de plus, la souffrance animale de cause affective existe - pendant la guerre j’avais été frappé par un chien qui s’est laissé mourir d’inanition après que son maître ait été déporté.
Quant aux maladies où l’on invoque une causalité psychique totale ou partielle, il est vrai que comme tu le dis, il y a indiscutablement une participation subjective dans leur déclenchement, les poussées de certaines manifestations paroxystiques dont « les violettes artificielles » de Marcel Proust sont un bon exemple.
Je connais les positions de l’école de feu Marty guillemets dans la mesure où leur conception me semble effectivement farfelues. Mais où leur prise en charge des problèmes psychologiques des maladies somatiques aident ces derniers (j’ai pu le constater) il m’arrive de travailler avec eux (mais pourquoi pas maintenant avec toi…)
Quant aux conceptions lacaniennes, j’ai eu l’occasion - si j’ose dire - de les approcher de près car je connaissais Lacan (par la guerre d’Algérie… Et ses filles) et j’ai même eu l’occasion de le soigner. Et si je peux témoigner qu’il préparait soigneusement ses séminaires (ce dont certains doutaient), son discours devant les problèmes somatiques me semblait très différent de son discours - que je n’ose appelé académique.
J’ai bien aimé et souligné comme il convenait, la phrase « ce n’est pas à la psychanalyse qui n’en a pas les moyens, de démontrer par quel circuit neurophysiologique le signifiant peut affecté le corps »… Même si « c’est un fait indiscutable qui peut s’observer dans la pratique ». Mais il n’est pas dit que tout soit écrit dans ce domaine.
Mais que par l’impact du désir et du langage, ou, a contrario par des explications purement pavloviennes, on arrivera peut-être à démêler ces circuits.
Dans ma spécialité, je suis confronté tous les jours avec les problèmes de la douleur, y compris de celles non liées à une pathologie bien identifiée. Tu sais peut-être que j’ai introduit en France l’étude de la fibromyalgie, symptôme neurologique sans désordre anatomique ou biologique identifié mais dont l’existence est bien réelle. Et je suis assez d’accord pour les propositions que tu fais sur la prise en charge des patients mêmes si l’on peut garder les éléments de divergences concernant les interprétations.
Je suis aussi d’accord sur ton interprétation des médecines dites parallèles, même si je combats leur diffusion pour des raisons de cohérence idéologique.
Je te signale à ce propos que le mot allopathie (proposé voir imposé par les homéopathes), est dénué de sens étymologique.
J’espère que nous aurons l’occasion de parler de tout cela de vive voix.
Très amicalement à toi
Marcel Francis
PS : le 2/1/1999 je me suis confronté à un acte manqué, qui explique que je ne t’ais pas envoyé cette lettre écrite il y a plus d’un mois !
J’y ajoute donc de tout mon cœur !
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