Patrick,
Ta notation, dans le cours de ton propos, sur la façon dont tu t’employais avec tes collègues dans le CMPP où tu as exercé autrefois, à maintenir l’écart et les limites de discours entre l’école et l’espace que vous souteniez ainsi pour l’enfant et sa famille – ce que j’appelle aussi l’espace de séparation, sur quoi j’ai beaucoup insisté, en particulier dans le début de mon texte, "L’impératif généalogique et la question du sexe, aujourd’hui", publié dans la belle revue Conférences – pourrait passer pour anodine, seconde. Je crois tout au contraire qu’elle est centrale, et engage un problème clef : celui, comme n’a cessé de le rabâcher, dans un quasi désert, mon cher Legendre, de « faire admettre la division des champs et des discours, la portée d’humanisation de cette division, sans laquelle s’anéantit l’image du Père dans la culture. » (Les enfants du Texte, p. 417)
Cette distinction des champs et des places de discours, impliquant leur délimitation, leur limitation (ce qui nous renvoie, face au Réel, aux limites de la science comme aux limites du droit, etc.), autrement dit le fait que nul discours ne puisse prétendre se tenir du lieu, au lieu de l’Autre, comme Le discours de La Référence, engage aussi à distinguer les registres, le mode de nouage et le jeu des registres, du réel, de l’imaginaire et du symbolique.
Lacan, comme tu le déploies, c’est beaucoup employé à cela. Et je crois aussi, tu le relèves, que l’intention de la dissolution n’était pas sans rapport avec ce qu’il a perçu de cette confusion des registres et ce détournement des discours qui régnaient. Ce qui amène aussi, j’ai cité Althusser qui en eut la vision, à faire de la politique de la plus mauvaise manière…
Et c’est là qu’intervient également la question dogmatique, du Texte sans sujet, soit la dimension langagière proprement dite, la dimension disons enveloppante de tous les autres discours qu’est la dimension institutionnelle, la dimension de la base langagière et institutionnelle du sujet, soit la problématique de la Loi, avec sa dimension primordiale (à ne pas cliver du symbolique !) qu’est sous nos cieux la dimension juridique. En ce sens la question du droit, c’est-à-dire la façon – et je reprends là les termes de la remarque, les termes de l’intuition majeure de Lacan (qu’il n’a pas prolongée, c’est Legendre qui s’y est employé) au début de L’envers de la psychanalyse – dont "le droit a affaire, et au dernier point, avec la structure du discours", regarde, ô combien les psychanalystes… (« Si le droit, ce n’est pas ça, si ce n’est pas là que l’on touche comment le discours structure le monde réel, où sera-ce ? ».
Pour être peut-être plus précis on peut dire, aujourd’hui, si on prend acte du "pas de Legendre", si on en tire conséquences, que le droit a à voir avec la façon dont la limitation et la distinction des discours structure le réel… Dès lors on retrouve ce qu’il en est (ça restera je crois un axe majeur chez Lacan, jusqu’au bout) de la prévalence du symbolique, du déterminisme langagier pour l’être parlant, le sujet institué.
Quand la confusion des discours prend le pas c’est aussi la confusion des registres qui règnent, avec comme prévalence l’imaginaire, la logique du fantasme et le règne potentiel et parfois bien réel de la Reine de la nuit, de nos jours, La Femme n’est-ce pas…
Par exemple dans le cas de l’adoption, qui me semble une affaire de plus en plus maltraitée et pourtant si importante, culturellement et politiquement si importante [je suis heureux qu’un séminaire sur ce point se tienne à l’enseigne de l’EPHEP, bien que regrettant que jusqu’à présent Charles Melman et Nazir Hamad n’aient pas articulé leur réflexion à des travaux comme ceux d’Alexandra Papageorgiou-Legendre (CF. Filiation) ou au bouquin aussi de Levy-Soussan], si l’on ne distingue pas les discours et les registres (j’essaierai de montrer prochainement, dans un article qui paraîtra j’espère dans la livraison de septembre de la revue Empan, comment opère la liaison entre distinction des discours et distinction des registres), et bien on ne peut accepter de disjoindre la paternité de la génitalité, et faire prévaloir que pour l’adopté les deux images de mère et de père (celles de ses parents adoptifs, ses seuls parents en matière d’adoption plénière) sont aussi vraies que celles des parents ordinaires, et que c’est en s’établissant, se fondant sur ces images là, et donc sur ce que ces parents peuvent soutenir eux-mêmes de la représentation fondatrice (impliquant de soutenir, de façon certes toujours imparfaite, leur propre lien sexué, soit la logique du tiers exclu, exclu mais non pour autant détruit ou abandonné, rejeté) que l’enfant symbolise « l’origine », la scène originelle… Quand il y a confusion, in-délimitation des discours et des scènes, et bien les registres eux aussi se confusionnent, et la résultante en est par exemple pour cette affaire de l’adoption que bien de ces enfants sont fixés à "l’origine", dans ce fondamentalisme du fantasme, ce fondamentalisme soft, plus ou moins soft du « retour à l’origine »…
Ce fondamentalisme là, le nôtre assurément aussi, veut-on en savoir quelque chose ? Et comment ne pas saisir alors la subversion de la facture proprement symbolique, clinique du droit, la mise à mal de sa dimension tierce médiatrice de la relation du sujet à l’Autre, mais sur un autre plan du discours et de la parole que celui, non juridique, sur lequel opère la psychanalyse ?
Je n’ai cessé de m’interroger : comment et pourquoi des psychanalystes ne peuvent-ils voir ce qu’engagent non seulement ces législations démagogiques sur le nom, la filiation, le mariage, mais aussi toutes ses réglementations et montages institutionnels, toutes ces pratiques soit disant de "partenariat" ou "pluridisciplinaires", quant à la subversion du plus précieux, la subversion de cet écart, cet espace de séparation que tu évoques dans ton petit, mais néanmoins crucial exemple des rapports entre un cmpp et une école. Toute mon élaboration s’est faite à partir de tous ces « petits » exemples de mise à mal de l’espace de séparation, de l’espace tiers, à partir de quoi l’interprète, instrumentalisé, est ramené au plus bas et au plus « totalitaire » du commun…
Je te remercie de m’avoir donné l’occasion de cette brève et rude relance.
mes amitiés
Daniel Px
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