Michel Onfray ou philosopher à coups de ragots.
Frédéric Schiffter.
Le vendredi 9 avril, lors de l’émission de Frantz-Olivier Giesbert, Vous aurez le dernier mot
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Michel Onfray déclare textuellement : « On nous dit : ”Autodafés ! ” ; ”On brûle les livres de Freud !”.
Mais on a brûlé les livres de Freud parce qu’il était juif, pas parce qu’il était psychanalyste !
Les Juifs gênaient le national-socialisme, pas la psychanalyse ! ».
Et d’ajouter que Freud, « admirateur » de Mussolini et de Dollfuss, avait même « collaboré » avec l’Institut Göring « jusqu’à la fin ».
La vision freudienne de la condition humaine m’intéresse depuis longtemps.
Je ne suis pas un spécialiste du mouvement psychanalytique.
Peu m’importent la question de la scientificité de la psychanalyse comme celle de son efficacité thérapeutique.
En revanche la vision freudienne de la condition humaine m’intéresse depuis longtemps dans la mesure où, à partir d’une clinique et d’une réflexion rationnelle, elle rejoint des thèmes et des thèses chers à mes maîtres matérialistes, athées et pessimistes — Hobbes, La Rochefoucauld, Schopenhauer.
Voilà pourquoi je répondrai ici à quelques unes des allégations relatives au prétendu fascisme de Freud que Michel Onfray ne cesse de trompeter tranquillement dans les médias.
1) « On nous dit : “ Autodafés ! “ ; “On brûle les livre de Freud !“ . Mais on a brûlé les livres de Freud parce qu’il était juif, pas parce qu’il était psychanalyste ! ».
Faux, bien sûr. Si en mai 1933, les nazis, déjà pressés — avant Onfray — d’incendier la légende de Freud précipitent ses œuvres dans les flammes, c’est parce qu’il est le fondateur de la psychanalyse stigmatisée comme une « science juive » et « anti-allemande ».
2) « Les Juifs gênaient le national-socialisme » — on appréciera la tournure toute faurissonienne de la formule. Ainsi, selon Onfray, quand les historiens affirment que c’était plutôt les nazis qui « gênaient » les Juifs, ils affabulent ?
Freud et Mussolini.
Si Freud, à la demande du père d’une patiente, se fend d’une dédicace mi-figue mi raisin à Mussolini sur un exemplaire de son Pourquoi la guerre ? — co-écrit en 1932 avec Albert Einstein —, cela ne fait pas de lui un fasciste.
Rien, dans l’œuvre de Freud, ne permet de déceler un parti pris idéologique.
Malaise dans la civilisation, texte antérieur de trois ans, exprime un scepticisme radical à l’égard des idéaux totalitaires, de droite comme de gauche.
Freud a fait sienne la maxime de Hobbes : homo homini lupus — l’homme est un loup pour l’homme.
Politiquement, c’est un légaliste conservateur. Mais, intellectuellement, il passe pour un subversif aux yeux de la société autrichienne de son temps, catholique et puritaine, en raison de ses thèses sur la sexualité.
4) Freud et Dollfuss.
Onfray dénonce les sympathies de Freud à l’égard du chancelier Engelbert Dollfuss qui, en 1932, dissout le parti communiste autrichien et réprime dans les sang une insurrection populaire.
Onfray oublie de préciser que Dollfuss, dans le même temps, avec le soutien de Mussolini (eh, oui !) mène aussi une guerre sans merci aux nazis autrichiens pangermanistes, interdit leur parti, en envoie certains à la potence et enferme les autres dans des camps de détention.
En 1934, ces derniers finiront par l’abattre lors d’un putsch raté.
Si, donc, Freud avait quelque indulgence pour Dollfuss, ce n’était pas parce qu’il approuvait son césarisme anticommuniste, mais sa fermeté implacable à l’égard des nazis et autres milices antisémites. On peut le comprendre.
5) Freud, Jung et Göring.
Le docteur Matthias Göring, le cousin d’Hermann, médecin psychiatre et nazi de la première heure, fonde en septembre 1933, après les autodafés de mai et après avoir liquidé la Société psychanalytique de Berlin, la Société Générale Allemande de Médecine Psychothérapeutique.
Influencé par Alfred Adler, psychanalyste d’origine juive converti au protestantisme, Göring entend « arianiser » la psychanalyse freudienne en la vidant de son athéisme, de sa théorie de la sexualité infantile et de celle de l’inconscient.
Autant dire que son but est d’exterminer la pensée de Freud
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À cette fin, il fonde en 1936 un Institut Allemand de Recherche en Psychologie et Psychothérapie — qui portera son nom — et dont il confiera la direction à Carl Gustav Jung, l’ennemi intime de Freud et antisémite notoire.
Immédiatement après l’Anschluss, en mars 1938, Göring ordonne la dissolution de la Société Psychanalytique de Vienne. Jung, lui, dirigera l’Institut Göring jusqu’en 1940.
Quand, donc, Onfray accuse Freud d’avoir collaboré « jusqu’à la fin » ?
avec l’Institut Göring, veut-il dire que depuis Vienne, voire depuis Londres, il discutait le bout de gras au téléphone avec Jung même si les deux hommes étaient fâchés à mort depuis 1912 et cela pendant que des fanatiques brûlaient ses livres et persécutaient ses amis allemands ?
5) Onfray et Nietzsche.
Onfray rappelle constamment que Nietzsche lui inspire sa méthode de contre-historien selon laquelle pour connaître le fond de la pensée d’un philosophe, il faut se référer à sa vie.
Toute philosophie est une « pathographie » — un symptôme, dirait Freud.
Soit.
Mais alors, imaginons qu’un jour, un disciple d’Onfray, soucieux de rendre compte de la doctrine de son maître, suive cette méthode avec la scrupuleuse méticulosité que ce dernier lui a enseignée.
Il se rappellerait qu’Onfray relate dans un ouvrage qu’il est gravement malade du cœur, pathologie imposant une médication lourde ayant pour effets secondaires la fin des matins triomphants et volcaniques.
Suspectant alors l’hédonisme bêta-bloqué du philosophe, l’émule divulguerait-il ce ragot ?
Onfray professe depuis des années une philosophie alter-universitaire auprès d’un parterre bon public si peu instruit, et surtout si peu critique, que ce dernier ne voit pas en quoi la parole du mandarin est, en effet, contre-historique.
Pareil enfarinement n’aurait nulle importance s’il se limitait à la basse Normandie.
Le Zarathoustra du bocage.
Or, dès lors que la télévision, la radio, la presse relaient l’enseignement du Zarathoustra du bocage, tout se passe comme si ces médias prenaient les téléspectateurs, les auditeurs et les lecteurs du reste de la France pour des bas-normands de la jugeote.
Mais, en ces temps de récession intellectuelle généralisée, sans doute est-ce le cas.
Frédéric Schiffter est philosophe ; il a écrit plusieurs ouvrages dont "Le Bluff éthique" (réédition "J’ai Lu", 2009) à la fin duquel il consacre une note au donquichottisme de M.Onfray dans le bocage bas-normand.
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