Daniel Pendanx, la mystification de la « domination masculine ».
"Il faut partir de ceci que l’homme possédant l’organe phallique s’imagine qu’il a le phallus, et cela depuis des siècles et des siècles. » Patrick Valas
Faut-il encore ajouter, tu en conviendras cher Patrick, que le phallocratisme, comme d’ailleurs la misogynie, n’ont rien de spécifiquement masculin.
Faut-il encore ajouter, tu en conviendras cher Patrick, que le phallocratisme, comme d’ailleurs la misogynie, n’ont rien de spécifiquement masculin.
Comme pas davantage le « complexe de croyance », tenu à ce mythe général d’un Père idéalisé, sous la figure duquel triomphe celle, intouchable et toute-puissante, de la mère-toute, la Mère phallique – mythe subjectif inconscient si remarquablement relevé et analysé par Guy Rosolato (NRP, no20, automne 1979).
Mais voilà un abord du rapport entre les sexes dont le machisme le plus ordinaire et le féminisme idéologue, pas seulement le « néo féminisme » actuel, qui n’en est que le rejeton le plus radical, ne peuvent se saisir…
Ce féminisme radical, décalque inversé d’un machisme à visée dominatrice, n’aurait pu connaître à mon sens l’essor délétère observable sans disons un terrain idéologique favorable, préparé de longue date : celui d’une déconstruction indéfinie, au centre de laquelle a opéré une critique généralisée, mais à mon sens faussée, confondant et désarticulant les registres, du dit logo-phallo-centrisme de la psychanalyse.
Une psychanalyse dès lors suspectée de prêter main forte au « vieux monde patriarcal ».
Lever le malentendu constitutif de cette critique du phallocentrisme de la psychanalyse n’est pas une mince affaire.
Les obédiences diverses du féminisme ont naturellement entretenu et épousé, à des degrés divers, ce courant critique de la déconstruction, jusqu’aux dernières théories ultra sur le genre.
Cette critique là de la domination masculine, relayée par une psychanalyse universitaire parée de ses atours antidogmatiques, et par un psycho-sociologisme superviseur adapté au temps, rayonne aujourd’hui dans la culture comme un acquis de notre modernité occidentale…
La critique post-68 de ce « phallo-logo-centrisme de la psychanalyse », aussi sophistiquée fut elle, et quelles qu’aient été ses fulgurances (Derrida), n’a guère aidé, c’est le moins qu’on puisse dire, à nous extirper de la confusion commune des registres, du symbolique et du réel, de l’imaginaire et du réel.
Elle n’a pas davantage aidé à prendre en compte les rapports de la parole et du langage, du signifiant et du signifié, à l’intérieur du sujet comme dans le social, ni davantage le jeu et les nouages des registres, l’irréductible et la complexité des liens, des articulations du « nœud borroméen ».
Ce qui a fait le lit, pour le poser grossièrement, du subjectivisme et/ou de l’objectivisme dans l’abord de la question du Sexe et du Pouvoir, du sujet et du social.
Aussi, dans le contexte d’aujourd’hui lever le malentendu constitutif de cette critique du phallocentrisme de la psychanalyse n’est pas une mince affaire.
Aussi, dans le contexte d’aujourd’hui lever le malentendu constitutif de cette critique du phallocentrisme de la psychanalyse n’est pas une mince affaire.
D’autant que bien des psychanalystes, plus facilement intéressés à rendre la psychanalyse compatible au discours du libre service normatif font, sous des sophistiques diverses, barrage à cet effort.
La psychanalyse de Freud serait « d’un autre temps » disent-ils.
Oui, peut-être, celui de l’avenir lointain…
Le primat du Phallus
Les néo-féministes ne sont donc pas les seules à contourner ou à réduire le questionnement (un peu plus complexe que leurs simplifications binaires) sur le « sexuel » : sur le désir primordial commun aux deux sexes.
Mais ce n’est pas d’aujourd’hui que règne dans la culture la plus grande méconnaissance quant à ce qu’il en est, au plan des représentations inconscientes qui enveloppent le désir (la libido), du « primat du Phallus » pour les deux sexes relevé par Freud.
Découverte impliquant que ce n’est qu’à partir du moment où le Phallus, comme symbole non réductible à la chose, au seul attribut mâle ( surinvesti et/ou envié et/ou maudit), devient le signe de l’absolu du Sexe et non la propriété de l’un des deux – autrement dit, devient un tiers terme pour les deux sexes –, que leur différence peut valoir dans l’égalité, et leur égalité dans la différence.
La fonction phallique, en rien assimilable en son principe à la domination masculine.
La seule issue médiatisée à la guerre des sexes, au face à face duel ou à la confusion des sexes, exige ce tiers terme du Phallus, soit l’avènement, à travers la mise scène, la totémisation-institutionnalisation du Pouvoir, la dissémination (ou pluralisation) du Nom-du-Père (= la mise en jeu du négatif, du manque, de l’écart et de la limite) par les interprètes, de cette fonction médiane désignée par la psychanalyse comme fonction phallique, en rien assimilable en son principe (symbolique) à la domination masculine, à la dimension sociale de celle-ci.
Je renvoie là aux développements de Pierre Legendre, Du Sexe au Totem. Remarques sur les Figures et le pouvoir de diviser, dans Leçons I, La 901e conclusion, Etude sur le théâtre de la Raison, p. 181 et suivantes.
Dans l’arrière scène (inconsciente) des représentations de l’un et l’autre sexe la différence des sexes se trouve ordonnée au seul mode binaire du phallique et du castré, avec pour corolaire la suprématie imaginaire du masculin – suprématie qui régente le fonds infantile de tout « phallocratisme ».
Cet éclairage du primat du Phallus par la psychanalyse – dont Lacan a contribué à préciser les termes et les registres pour l’anthropologie – reste scotomisé, refusé ou contourné dans notre société et la culture, et cela par nombre de ceux qui prétendent penser le sujet et la société, le pouvoir.
Et c’est ainsi que quant aux fondements, non pas idéologiques, sociaux ou moraux, mais structurels, de l’égalité et de la différence des sexes, nombre de discours demeurent dans la plus commune confusion des registres.
Nombre de ceux qui veulent promouvoir une égalité absolue entre les sexes ratent ainsi la marche qui permet de conjuguer égalité et différence, en continuant massivement d’ignorer la fonction tierce du Phallus pour les deux sexes – une représentation à ne pas confondre avec la réalité de l’attribut.
J’y insiste dans les termes de la citation introductive de P. Valas : c’est bien de là qu’il faut partir !
L’abord de la question phallique par la culture occidentale
La fonction phallique, indépassable, c’est la fonction symbolique tierce civilisatrice, nouée au langage (dont l’effort actuel d’égalisation radicale est si ridicule), qui signifie à l’un et l’autre sexe sa propre division du Phallus, le fait que nul n’est ou ne possède le saint phallus imaginaire.
Je dis « indépassable » comme est indépassable l’axe totémique des sociétés, soit le fait qu’on ne puisse « dé-totémiser » la société comme le mot d’ordre en est donné.
Devereux, qui lui comprit, parallèlement à Lacan, combien un certain mode d’exposition du creux a valeur…non féminine…, mais phallique.
On ne peut « dé-phalliciser », « dé-totémiser » : à chasser le Phallus par la porte de devant, il revient par la fenêtre de derrière, ne serait-ce que sous les traits de la Girl-phallus ou de Baubo, la vulve mythique chère à Devereux, qui lui comprit, parallèlement à Lacan, combien un certain mode d’exposition du creux a valeur…non féminine…, mais phallique…
Cette représentation du Phallus, dès lors qu’elle peut être symbolisée par les médiations « parentales » institutionnelles diverses (opérant dans le lien des sujets aux représentations instituées du Pouvoir, de la Référence), renvoie les deux sexes à leur propre division subjective : à cette dimension du manque (de la castration de la mère, de l’exil ordinaire) constitutive de notre condition commune. Voilà par où se trouvent fondées en Raison l’égalité et la différence conjointe des sexes. Je renvoie là à nouveau à Pierre Legendre, dans De la Société comme Texte.
Sur l’importance de la question du sexe en anthropologie.
L’abord de la question phallique par la culture occidentale. p 199. 200, Fayard, 2001.
Mais voilà, plus d’un siècle après cette découverte par Freud de la prévalence de la représentation phallique ordonnant la libido, le désir inconscient des deux sexes, et quels que furent les précisions et l’apport de Lacan, les sociétés occidentales n’ont semble-t-il pu prendre acte et tirer conséquences du fait que ce saint phallus imaginaire nul ne le possède, ni l’homme ni la femme, pas plus papa avec son instrument que maman avec son petit…
Alors ne rêvons pas, aborder ainsi la question du Sexe, derrière laquelle résonnent celles de la mort et du pouvoir, n’est pas davantage au programme du psycho-sociologisme régnant que de la plupart de nos grands intellectuels.
Des intellectuels dont les présupposés anthropologiques et les thèses les plus anti-freudiennes, si souvent marquées du sceau de l’objectivisme, sont reçus dans une curieuse faveur, sans autre critique, par tant de psychanalystes.
La mystification de « la fin de la domination masculine »
Par exemple, sur le thème qui nous occupe ici, il m’étonnerait que cette thèse de la "fin de la domination masculine", revigorée et soutenue récemment par des articles de Marcel Gauchet et Gilles Lipovetsky dans la revue Le débat, soit relevée.
Et pourtant elle est selon moi une mystification, non pas tant en ce qu’elle viendrait masquer ou sous estimer d’une réalité toujours bien présente de la dite domination, mais bien plus en ce qu’elle perpétue de cette ignorance la plus crasse et la plus commune du mythe phallocrate de l’un et l’autre sexe.
Le mythe subjectif qui sous-tend les modalités si diverses, machistes ou féministes, de la domination de l’un ou l’autre sexe sur l’un ou l’autre sexe… Soit le quadrille du dessus/dessous de la « domination » : L’homme sur l’homme/ l’homme sur la femme/ la femme sur l’homme/la femme sur la femme…
Ce que ratent aussi bien Gauchet que Lipovetsky, que ceux qui ne manqueront pas bien sûr d’en contester le propos dans les seuls termes de la "réalité", c’est le fait qu’en la matière, la matière du phallocratisme qui préside à la dite domination d’un sexe sur l’autre, il n’y a en vérité, au plan des représentations inconscientes qui nous enveloppent (et qu’il s’agit, dans la dialectique infinie du désir et de la Loi, le travail de culture, de « civiliser », de symboliser), ni homme ni femme.
Il n’y a que des mâles et des femelles qui se prennent, soit pour les possesseurs du saint phallus imaginaire, soit pour des castrés, des dépossédés du Phallus.
Il n’y a que des mâles et des femelles qui se prennent, soit pour les possesseurs du saint phallus imaginaire, soit pour des castrés, des dépossédés du Phallus.
Et cela dans l’éternel jeu de dupes entre les sexes…, la commune croyance familialiste (dans ses deux versants, ancien et new age) au « rapport sexuel »… Il en va là, en regard du sadomasochisme régnant dans les vies institutionnelles (et autres) du mythe sexuel sous-jacent aux rapports au pouvoir, aux liens d’équipe comme au sacro-saint "partenariat" – mythe noué, comme il en est dans l’homosexualité infantile inconsciente constitutive de tout un chacun, à la représentation de l’Unique Sexe imaginaire…
Sur cette mystification, qui est aussi celle de la "sortie de la religion", de l’anti-tabou et de la fin de la totémisation, surfent la techno-gestion scientiste et les manipulateurs en tous genres, des plus lourdauds aux plus malins, du transfert institutionnel, de l’amour politique.
Sur cette mystification est fondé la gouvernance supervisée des « militants » et des « soignants », tous serviteurs de l’idéal unitaire, libérateur et égalitariste, fourbi au ciel des chefs et des "experts".
Restons-en là.
De ce lien au Phallus (au Totem, à la Référence) dont, après avoir lu ce récent « Rapport sur les apports et les avancées des psychanalystes français », je suis aussi parti pour quelques réflexions critiques à venir sur « la place de la psychanalyse ».
Bordeaux, novembre 2018