Daniel Pendanx, Lointain souvenir de la structure.

mercredi 15 août 2012
par  P. Valas

Daniel Pendanx

Lointain souvenir de la structure (1).

chien géant

Sur le conseil d’un ami, je viens de terminer de Russel Banks (auteur de « De beaux lendemains », dont Egoyan il y a quelques années a tiré un film ), l’épatant Lointain souvenir de la peau – un titre derrière lequel s’engage, au temps de l’Internet, l’enjeu existentiel princeps, celui de « posséder, comme dit notre cher Rimbaud, la vérité dans une âme et un corps »…

Dans ce roman résonne, tant du côté du Kid, jeune homme condamné pour un délit sexuel, que du Professeur, brillant universitaire en sociologie qui va se pencher sur la situation du premier, la question de la dé-civilisation possible du toucher et de l’être touché…toute la question du pourquoi de cette dé-civilisation, déjà là sous nos yeux…

Derrière la mise en abîme, scène après scène, de ces deux personnages clefs du roman, Russel Banks, qui n’a rien d’un conservateur réactionnaire, interroge, au prisme de la vieille blessure, la sienne assurément, ce qui du cours actuel de la culture peut venir ainsi hypothéquer l’avenir subjectif des sujets, pris un à un, ainsi que la littérature, celle qui échappe au roman familial, y convie…

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daniel pendanx lointain souvenir de la structure

Extraits :

Si, comme cela semble être le cas, la proportion de la population masculine coupable de tels actes, a augmenté de manière exponentielle au cours des dernières années, et si ce n’est pas simplement parce qu’on a criminalisé certains comportements et que, par conséquent, on médiatise ces crimes davantage, il s’ensuit qu’il y a quelque chose dans notre civilisation en général qui s’est modifié au cours des dernières années, et ces hommes-là sont comme le canari dans le puits de la mine, ce sont les premiers d’entre nous à réagir à la modification, comme si leur système immunitaire social et éthique, ainsi que ce qui régule leur comportement, avait été endommagé ou rendu vulnérable d’une façon ou d’une autre. Et si nous n’identifions pas les changements qui, dans notre civilisation, attaquent nos systèmes immunitaires sociaux et éthiques - systèmes auxquels nous nous référons d’habitude en parlant de tabous – il ne faudra pas longtemps avant que nous succombions tous.p.141

Quand une société réifie ses enfants en les transformant en groupe de consommateurs, quand elle les déshumanise en les convertissant en un secteur économique crucial fermé sur lui-même, quand elle érotise ensuite ses produits pour les vendre, les enfants en viennent peu à peu à être perçus comme des objets sexuels pour le reste de la communauté mais aussi par eux-mêmes. Et sur l’échelle du pouvoir, quand le pouvoir en vient à être interprété en termes de sexualité et non plus d’économie, les enfants se trouvent relégués à l’échelon le plus bas.p.9

De là, une brève réflexion, dans la somnolence estivale, sur ce forum endormi – endormi et pour cause, quelle cause ? L’ennui ? La gangue alentour ?

Il est vain d’espérer des travailleurs sociaux, des thérapeutes, des juges, une efficience, disons réparatrice, qui contienne la casse subjective et les fureurs meurtrières, si en amont, comme il en est actuellement, le système institutionnel, les digues du droit civil, le langage lui-même – autrement dit les déterminants symboliques princeps de l’identité, les existentiaux culturels qui président au cours de la construction subjective – sont déstructurés, déconstruits, mis cul par-dessus tête.

Nous n’avons cessé d’un côté, sous l’idéologie du sans tabou, de mettre à mal tous les standards, les dits repères fondamentaux , jugés normatifs, et de l’autre, creusant la dette sans répit, de promouvoir à grands renforts de spécialistes, un positivisme médico-psy, éducatif, thérapeutique, supposé devoir et pouvoir donner satisfactionà la Demande, boucher le malaise des tutelles, et ce en régulant les failles et déraillements d’un système institutionnel – d’un ordre de représentation et de discours – qui ne permet plus aux parents, parents institutionnels compris, de faire face et de soutenir leur propre acte, leur propre part dans le Malaise - le malaise dans la transmission, la transmission de la Loi.

Lacan déjà se moquait, disant dans Télévision que ceux qui prétendaient ainsi soulager la misère, ne pouvaient et n’avaient qu’à collaborer au discours capitaliste !

Propos, pas si loin que cela, pris au pied de la lettre par un gros bras de la Psychanalyse à majuscule pour donner leçon d’adaptation et d’égotisme à l’interprète !

Il y a une grande inconséquence, proprement politique, à laquelle collaborent massivement nos milieux, tous courants confondus, à tabler d’un côté sur les pratiques sociales du dépannage, le positivisme éducatif, thérapeutique, et de l’autre à laisser aller, voire encourager, sans jamais le mettre en cause sur le fond, le mouvement général de la déconstruction – forme la plus masquée, sous les atours libéraux, anti-normatifs, du nihilisme contemporain.

Ceux qui prétendent mener le bal de la contestation critique préfèrent semble-t-il désigner le seul Marché (ou le Management).

Ceux qui prétendent mener le bal de la contestation critique préfèrent semble-t-il désigner le seul Marché (ou le Management) comme le grand objet négatif à se mettre sous la dent, la dent de la colère (cf. le bel ouvrage de Sloterdjik Colère et temps) ; et ceux-là, forgeant la nouvelle légende pour les masses, manœuvrent pour leur propre Cause le transfert politique des sujets. Verrouillant la question de l’amour politique (les enjeux de sa dissolution ), ils promeuvent, sous l’emblématique fameuse de la Psychanalyse dernier-cri, leurs lieux (sections, colloques et autres regroupements) comme lieux de l’idylle politique…, avec tous effets-servitude redoublés à la clef.

Et pour cela, j’ai mis du temps à le comprendre, à l’encaisser, il est vain de penser que ceux-là puissent jamais mettre en question, sinon avec des précautions qui en diluent l’essentiel, l’anti-œdipisme d’un contexte culturel qui légitime la logique du fantasme, et au plan de la représentation, la dé-liaison de l’inceste et du meurtre.

Derrière ces prétentions à dépasser les standards, les normes anciennes.

Derrière ces prétentions à dépasser les standards, les normes anciennes, ces psychanalystes férus de social ou de politique, le plus souvent agents des dites supervisions dans le champ institutionnel, continuent de nous fabriquer la fable d’une psychanalyse non adaptative alors même qu’ils épousent les tendances culturelles du temps, et se tiennent eux-mêmes au firmament de la Référence, soit-elle celle de l’anti-doxa, de la Psychanalyse à majuscule.

Dans le champ institutionnel j’observe depuis bien longtemps la façon dont la plupart de ces lacaniens là , agents d’un juridisme occulte, bouchant la demande et rénovant à leur façon le psychologisme (ce pourquoi ils ont tant de succès, il faut le reconnaître) s’emploient, parfois à l’enseigne du dernier Lacan , ou celle d’un après-Lacan millérien (sic), à circonscrire, par une sophistique du post-oedipe , toute l’inactualité impliquée dans l’apport de ce même Lacan, celui de Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse : soit le fait que c’est bien encore et toujours l’invariant structural langagier, ordonnateur de la scène de la représentation fondatrice et des tabous, qui préside culturellement – le juridique devant en être compris comme la clef de voûte – au procès de civilisation du désir inconscient, celui des identifications sauvages.

Nombre de ceux qui ont pour ligne affichée de séduire les pouvoirs , édulcorent l’Œdipe, et ne cessent de confondre et de réduire les registres – comme si par exemple, pour reprendre une formule bateau lue récemment sur ce forum sous la plume d’une psychanalyste, critiquer la légitimation juridique de la dite homoparentalité ne se pouvait qu’à s’instaurer en gendarme de la bonne conduite au nom du complexe d’Œdipe !

Ce qui est quand même bien le signe qu’on peut prétendre d’un côté aux plus grandes subtilités du dernier Lacan et de l’autre ne pas cesser de s’aveugler sur le fait que le juridique n’est pas réductible à un seul réel comportemental !

Et les plus radicaux (beaucoup de belles d’ailleurs, observons-le) demeurent toujours, quant à l’abord de ces choses, du social , de la famille , dans la même impasse de l’objectivisme et du clivage sujet/social que celle de cette sociologie environnementale ou anthropologie sociale dont l’Université et l’EHESS restent les pépinières…

La fonction symbolique du droit.

A ne pouvoir discerner en ce point – le point fixe de la structure – la fonction symbolique du droit, et ce qu’il en est de la distinction des registres, du réel et du symbolique, les enjeux de l’entre-appartenance du sujet et du culturel demeurent embrouillés… Ce qui se trouve ainsi masqué sous des sophistiques impressionnantes c’est bien cette surdétermination culturelle (institutionnelle et juridique) sur le cours de la dialectique identité / altérité (dialectique du désir et de la loi constitutive de la subjectivation) que Freud avait en vue sous la notion d’identification au père de la préhistoire , de l’idéal du moi

Mais est-il encore loisible de revenir sur ces vieilles notions freudiennes ? D’aucuns diraient peut-être, archaïques, dépassées, voire encore, moisies… ?

Suis-je dans le désert ?

Mais pas une main amie ! et où puiser le secours ? …

Point de cantiques : tenir le pas gagné. …

Cependant c’est la veille. Recevons tous les influx de vigueur et de tendresse réelle. …

Que parlais-je de main amie ! Un bel avantage, c’est que je puis rire des vieilles amours mensongères, et frapper de honte ces couples menteurs, - j’ai vu l’enfer des femmes là-bas ; - et il me sera loisible de posséder la vérité dans une âme et un corps. (Une saison en enfer)

Daniel Pendanx

Le 5 / 8 / 2012, à Luz-Saint-Sauveur (65)

PS : Patrick, bonjour,

Trouve ci-joint un petit texte, initialement écrit pour le forum oedipe ; l’envoi d’une première mouture est resté sans accueil, ni réponse de la part de Le Vaguerèse.

amicalement à toi,

Daniel Px

ps j’ai aimé nombre de tes remarques dans les échanges sur le traitement d e l’autisme ;
et puis, il me faut aussi te dire que ne suis pas surpris des difficultés apparues publiquement avec notre camarade Dupont-muzard, dont je pense depuis longtemps que pour méconnaître en vérité la fonction (langagière) symbolique du droit, il demeure dans un certain légalisme ou juridisme , et que cela l’empêche de « lire » véritablement Legendre, alors que juriste lui-même… Il en est de même pour les quelques « juristes » qui entourent Melman je crois…

(1) Ce texte, faisant écho à diverses interventions lues sur le forum politique de la psychanalyse du site Œdipe, a d’abord été écrit pour accueil sur ce forum, auquel je le transmets ; je le propose également à publication sur le site de Patrick Valas.