Le sujet de la psychanalyse en question ($) et le mystère du corps parlant, ou Lom et le Parlêtre.
L’erreur commune des philosophes post-lacaniens qui veulent revisiter leur discipline à la lumière de l’enseignement de Lacan tient à une difficulté majeure concernant le sujet en question dans la psychanalyse.
Dans Subversion du sujet dans la dialectique du désir, publié en 1958 mais réécrit pour la publication de ses Écrits en 1966 Lacan donne une définition du signifiant (et non pas du sujet) qui est la suivante :
Le signifiant S1 représente le sujet pour une autre signifiant S2 qui ne le représente pas.
Autrement dit, le sujet divisé ($) est un effet de son institution par le signifiant S1 dans lequel il est pétrifié alors qu’il est en aphanisis (refoulé) sous le signifiant S2 qui ne le représente pas.
Touche du réel, c’est la Spaltung, c’est la fente, autrement dit c’est la façon dont se définit le sujet.
De cette opération se produit un reste soit l’objet a, qui va être qualifié comme étant « l’être de jouissance »(a) spécifique du sujet ($) lequel est son « être de signifiant ».
D’où la formule du fantasme chez Lacan qui les articule selon une liaison conjonction-disjonction, telle que le sujet est à la fois plus grand et plus petit que (a) et vice-versa.
C’est ce qu’écrit ce fameux losange < >, dit le poinçon qui est en réalité la forme stylisée de ce qu’il en est d’une « structure quadripartite est depuis l’inconscient toujours exigible dans la construction d’une ordonnance subjective » (Lacan, Kant avec Sade).
Pour s’en convaincre il suffit de lire les mathèmes des discours, sans cette structure quadripartite nous aurions à faire à un sujet sans lien social de discours qui pourrait être réduit à n’importe quel X dans n’importe quel raisonnement logique.
Dés lors avec Lacan on ne peut plus parler d’un sujet de pure articulation signifiante comme le font les philosophes, soit le sujet d’un calcul tel que ces messieurs nous en parlent le plus tranquillement du monde assis dans leur fauteuil ou à la tribune, quand ils nous promettent une révolution qui ne peut pas être sans violence !
Cela fait depuis 1914 plusieurs centaines de millions de morts.
Quel peuple peut-il payer un tel prix ?
Cela ne compte pas pour ces révolutionnaires de papier mais pas pour un psychanalyste qui sait par expérience les ravages que cela cause sur plusieurs générations.
Au contraire Lacan corrèle toujours son sujet du signifiant $ à son être de jouissance (a), dans son mathème du fantasme :
$ <> a.
L’objet a commémore la jouissance perdue du fait du signifiant qui mortifie le corps, tout en étant dans l’affaire un « plusse »-de- jouir du sujet.
Il est d’ailleurs le noyau élaborable de toute jouissance.
A cet égard l’interprétation dans la cure, pour une part est calculable par rapport au texte de l’analysant puisqu’elle joue sur l’équivoque signifiante du cristal de lalangue et elle a des effets de sujet, mais pour une autre part elle est incalculable dans ce qu’elle produit comme jouissance pour le sujet – on peut avoir des surprises étonnantes voire fâcheuses parfois si on méconnait cela.
Elle n’a aucun équivalent dans d’autres discours.
Il en résulte que l’on ne peut pas dire n’importe quoi à n’importe qui même en public, d’où cette définition incomprise d’une éthique du Bien-dire de la psychanalyse, si l’on veut être entendu, sinon c’est en pure perte.
On remarquera que dans les mathèmes des discours, si la structure quadripartite les ordonne, seul le discours analytique articule le fantasme et seul dans ce dernier on peut obtenir une séparation entre les deux manques que sont du côté du sujet le manque-à-être (-phi) et l’objet a cause du désir du côté de l’Autre, pris comme corps.
Il faut retenir que Lacan ne donne pas dans sa formule « le signifiant représente un sujet pour un autre signifiant » une définition du sujet, mais bien du signifiant, qui est d’ailleurs étrangère à celle de la linguistique.
Son sujet a beau se loger dans la métonymie de la chaîne signifiante il n’en est pas moins lesté par l’objet a comme un plomb qui l’amarre au filet des signifiants et limite sa dérive à l’infini, si l’on veut admettre qu’il s’agit d’un réseau de langage.
Dire que l’objet a est « l’être de jouissance du sujet » cela signifie qu’il vient du corps, pas seulement par contingence corporelle mais aussi par consistance logique.
Il s’agit bien là de « Lom de base, Lom cahun corps et nan-na Kun ».
Lacan Joyce le Symptôme (1976).
On comprend alors pourquoi Lacan peut dire que le sujet est déjà mort sans le savoir du fait du signifiant, mais qu’en même temps il est vivant du fait de sa jouissance qui ne peut être éprouvée que du corps.
Cela veut dire que le sujet n’est pas seulement parlé, il parle avec son corps, c’est cela même le « mystère du corps parlant ».
D’où cette nouvelle avancée de Lacan en ces termes :
« Je fais remarquer que l’inconscient, je n’y entre, pas plus que Newton, sans hypothèse.
L’hypothèse que l’individu qui en est affecté, de l’inconscient, c’est le même qui fait ce que j’appelle le sujet d’un signifiant.
Ce que j’énonce sous cette formule minimale : qu’un signifiant représente un sujet pour un autre signifiant.
Je réduis, autrement dit, l’hypothèse selon la formule même qui la substantifie, à ceci : que l’hypothèse est nécessaire au fonctionnement de lalangue.
Dire qu’il y a un sujet ce n’est rien d’autre que dire qu’il y a hypothèse.
La seule preuve que nous en ayons est ceci : que le sujet se confonde avec cette hypothèse, et que ce soit l’individu, l’individu parlant qui le supporte, c’est que le signifiant devienne signe ».
Lacan, Encore, 26 juin 1973.
Lacan définira le parlêtre ou Lom comme un composé trinitaire RSI.
Patrick Valas, le 16 avril 2016.