Le désir de dormir

jeudi 11 octobre 2018
par  P. Valas

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désir de dormir

 

Besoin de dormir, désir de dormir.

Les psychanalystes n’ont jamais été très attentifs à la distinction très tranchée que pourtant Freud fait entre le besoin de dormir (qui est une fonction vitale, comme, entre autres le respire) et le désir de dormir.

 
ménines

Le besoin de dormir.

Il est frappant de lire dans les travaux qu’ils publient, combien les chercheurs, qui sont devenus des marchands du sommeil pour la plupart, méconnaissent à ce point un fait d’observation qui est à la portée de tout un chacun.

Qui par exemple ayant un animal domestique, dit animal de compagnie, n’a pas été intrigué par la façon dont ces animaux dorment ?

A-t-on déjà remarqué que des espèces pourtant aussi différentes dorment de façon aussi semblable ?

Ce qui laisse supposer que le besoin de dormir, fonction biologique vitale, a des caractéristiques communs à la plupart des mammifères, pour restreindre le champ de notre élaboration et éviter ainsi qu’une trop grande généralisation ne vienne ici noyer le poisson, ce qui serait un comble.

Donc ma chatte, au doux nom de Minouschka, dort par petites séquences de quelques secondes et rarement au-delà d’une heure. Même la nuit, pendant laquelle elle s’adonne passionnément à la chasse… aux mouches à merde. Son gibier préféré, car il y a belle lurette qu’elle a découvert, que dans l’appartement parisien d’un citoyen français de l’espèce la plus commune (vulgum fiscum, c’est-à-dire en règle avec l’administration fiscale, ce qui est possible même pour un psychanalyste), il n’y plus aucune espèces vivantes, autres que les minuscules acariens — les blattes étant détruites 2 fois par an par les services d’hygiène de la ville de Paris.

Autrement dit, le sommeil normal de tous animaux se fait par cycle que l’on peut chiffrer de 8 à 12 par 24 heures.

Selon le besoin de chacun (Il en est de même pour Zébulon mon Saint-Bernard, qui n’a jamais fait de mal à Minouschka, laquelle ne manque jamais de lui chercher des noises, y compris d’aller manger ses boulettes dans sa gamelle au moment même où il se restaure). Sans doute reste-t-il impassible parce qu’il est bien nommé Saint.

Pour rester en vie et subsister durablement, le corps doit avoir un savoir. Un savoir du réel de la vie, qui n’est celui d’aucun sujet.

Il est donc facile, comme bonjour, pour un corps de savoir quand il lui faut dormir, et comment ?

On remarquera qu’il s’agit pour l’animal d’un sommeil vigile. La preuve le moindre bruit, même familier, aussitôt il jette un coup d’œil (le plus souvent d’un seul) et reprend aussitôt son sommeil.

Nos furieux chercheurs neuro-cognitivo-comportementalistes, n’ont jamais souligné cela.

Il faut dire qu’ils se contentent, pour la trop grande majorité, d’émarger pour des labos pharmaceutiques en mal de psychotropes à fourguer aux chalands.

Ils ne font que faire des expériences sur des animaux captifs et par conséquent contraints et stressés

.

Qui peut croire qu’un rat, une mouche drosophile, ou un pou du pubis, ne sait pas qu’on lui fait des misères comme il n’en a jamais rencontré de toute son existence, et qu’il est tracassé jusqu’à se laisser aller à mourir de faim par exemple.

Un Jean Rostand, un Maurice Mathis le savaient bien.

Ils allaient observer les animaux les plus divers dans leur environnement, sans jamais troubler leur écosystème.

 
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Des grenouilles, des moustiques, des gorilles, des poux (du pubis, du corps, ou de la tête qui ne se trompent jamais sur le lieu de leur villégiature, et qui changent souvent d’hôte, car ce sont des nomades par fantaisie et en même temps des sédentaires par paresse et nécessité).

Nos néo-bios le savent-ils, connaissent-ils seulement le nom de ces illustres prédécesseurs ?

Il suffit de voyager un peu dans des pays, où vivent encore, de moins en moins nombreuses des peuplades, que Lacan nomme des sociétés ethnographiques, c’est-à-dire non gouvernées par le discours du Maître et de son avatar perverti par sa copulation avec le discours de la science moderne, le discours capitaliste qui galopent tout seul sans que nous sachions ce que ça veut.

Son agent, celui qui le gouverne étant partout et nulle part du fait de ce que l’on appelle globalisation, et le réchauffement pas seulement climatique qu’il engendre dans les cerveaux épuisés de nos penseurs, intellectuels (de toute tendance) et hommes politiques essentiellement en éthi-quête de pipolisation.

Donc ces hommes, encore debout, dans ces sociétés, dorment aussi par cycles à l’identique de Minouschka.

Comme aussi, dorment les navigateurs modernes des courses en solitaire.

Autour du monde pendant plusieurs mois tout seul, dans un sens et dans l’autre, à l’endroit comme à l’envers.

Alain Colas, disparu en mer, que j’ai rencontré à Portsall, m’a confirmé avoir trouvé cette méthode par tâtonnement. Pas moyen de tenir autrement la barre quand on est seul, en haute mer.

Il n’est pas exclu que les mouches et les rats rêvent et même puissent faire des cauchemars.

Comment le savoir ? Par des électro-encéphalogrammes ou des IRM ?
Je reste convaincu que les images algorythmées par les ordinateurs sont plutôt des effets que des causes. En attendant mieux.

On a déjà reproché à Freud ses élucubrations sur le rêve et sa fonction de gardien du sommeil.

Comment savoir, lui disait-on, vous n’étiez pas présent dans la cervelle de votre dormeur, c’est à dire au moment du sommeil paradoxal (autre nom de vigile), temps où nous l’avons prouvé avec nos machines et nos statistiques, publiées dans The New England Journal of Medicine, que se produisent les rêves.

Nos chercheurs ont su décrire deux phases dans le sommeil :

Le sommeil profond.

C’est la phase starter de la fonction biologique du dormir, moment ressenti par le sujet comme un tomber de sommeil (plusieurs fois par jour). Phase réparatrice proprement de régénération des fonctions physiologiques du corps, il s’y produit des modifications de la chimie du corps.

Dans notre rude langage de la psychanalyse c’est un équivalent d’orgasme (j’y reviendrai plus loin) dont on sait d’expérience pour chacun, qu’il est toujours suivi de détente, ressentie comme un sentiment de bien-être et de sécurité, Il prépare à la seconde phase.

Le sommeil paradoxal (ou vigile).

C’est la seconde phase de la fonction du dormir où se nouent, le besoin vital du dormir, avec la fonction subjective du désir de dormir, et la fonction du rêver, et son énigmatique fonction d’être dit par Freud gardien du sommeil.
Le désir de dormir.

Freud, dont la très solide formation scientifique n’est pas à démontrer — il est, entre autres, reconnu par les neurologues parmi les découvreurs de la synapse, dont il avait décrit l’essentiel de sa fonction, raison pour laquelle il n’a jamais placé son inconscient structuré comme un langage (dixit et démontré par Lacan), au niveau des nerfs (et ses invraisemblables maladies).
Freud finira par dire que ses chères pulsions (Trieb et non pas Instinct) sont des êtres de mythes grandioses dans leur indétermination (sic).

Comment articuler besoin de dormir et désir de dormir ?

L’articulation entre les besoins fondamentaux du corps, que coordonnent les sens, qui participent d’un savoir du corps propre, lequel n’est pas vraiment élucidé (ce savoir) encore aujourd’hui, et ce n’est pas le réductionnisme forcené de la biologie moderne, organique, tissulaire, cellulaire, chromosomique, atomique, particulaires et franchement élémentaire dans ses attendus, jusqu’au quanta, qui nous ferons avancer dans sa problématique.

La psychanalyse, elle, peut proposer la réponse suivante à partir de la clinique :

Sait-on seulement chez les enragés contre la psychanalyse, que dans les cures nous faisons des diagnostiques de maladies organiques ?

Autrement dit, nous pouvons découvrir des maladies organiques graves chez nos analysants, ignorées d’eux et du corps médical, même à visée préventive.

Avec Freud qui n’a jamais fait usage du terme de psychosomatique, avec Lacan aussi, chez qui il y a des élaborations conceptuelles sur la psychosomatique très sophistiquées, jamais, jamais nous n’affirmerons de façon péremptoire, que le signifiant peut induire des maladies organiques, cela reste encore une hypothèse hasardeuse.

Le cancer et la psychanalyse peuvent faire bon ménage dans ce qu’il me faut bien qualifier la presse pipole féminine surtout, voire même des associations psychosomaticiennes, et leurs revues, dont la lecture de certains articles me bouleverse d’horreur.

Dans l’articulation du désir de dormir au besoin de dormir, nous ne disposons pas de la théorie des pulsions, comme pour les autres besoins.

Le chier, le bouffer, le mater, l’entendre, résultant de la prise du besoin par le désir via le signifiant.

Par contre la clinique nous donne un éclairage sans équivalent ailleurs.

J’ai évoqué précédemment ce moment parfaitement repérable du tomber de sommeil, il s’agit là d’une bascule de l’éveil au sommeil.

Un seuil est donc franchi là, qui nous amène à avancer qu’il s’agit d’un moment de la structure dont le battement pourrait surdéterminer, les causes physiologiques du sommeil, et dont on sait que comme tout rythme biologique il suit une courbe croissante puis décroissante.

Il est d’observation quotidienne pour chacun, qu’un tomber dans le sommeil suivi par un brusque éveil en quelques secondes, est ressenti par le sujet comme le franchissement d’un seuil.

Il n’est plus le même après (reposé, tranquille, sécurisé), qu’avant (angoissé, fatigué, voire épuisé).

La participation subjective au sommeil, qui met le corps au repos de ses jouissances impératives, n’est plus à démontrer.

Que les rêves se produisent pendant la seconde phase du sommeil, nommé par les savants sommeil paradoxal, et que moi j’appelle (comme celui de Minouschka) pour la clarté de mon propos, sommeil vigile (Freud l’a très bien repéré avec son rêve Père ne vois-tu pas que je brûle ? — j’y ajoute d’un désir que j’ignorais à l’état d’éveil, et qui se réalise dans mon rêve, comme une modalité de jouissance pour la satisfaction de mon sommeil et le repos de mon corps.

Je rêve pour continuer à dormir en quoi le rêve et aussi bien le gardien du sommeil dont j’ai besoin pour vivre.

L’entrée dans le sommeil, est certes liée à un besoin physiologique de dormir, cependant elle n’est pas sans le désir de dormir qui trouve une part de satisfaction dans un mode d’orgasme qui serait de départ plutôt que de fin.
C’est paradoxal, mais c’est comme ça.

Le désir de dormir, est bien comme tout désir freudien, sexuel.

À condition de l’entendre comme il le définit sans le confondre avec le génital, mais à corréler à la Libido ce fluide mythique. Le sexuel chez Freud, n’est pas un pansexualisme échevelé, mais paradoxalement un a-sexualisme, dont Lacan livrera la clé énigmatique par son aphorisme Il n’y a de rapport sexuel.

Nous sommes aux confins, où la limite entre le rêve et le cauchemar, comme manifestation de la jouissance suffocante de l’Autre, n’est pas bien tranchée.

Si l’on veut bien admettre que le cauchemar est l’effet même du ratage de la fonction du rêve comme gardien du sommeil.

Pas-tout orgasme est catastrophe pour le sujet, il y en a même de fort paisible.

Comment dormons-nous aujourd’hui ?

Fort mal pour beaucoup, Les Rêveurs de Toulouse en témoignent qui déambulent, sur les berges du fleuve comme tous les somnambules égarés du siècle.
Telle qu’elle a évoluée, la civilisation, nous oblige à dormir en dépit du bon sens des peuples depuis toujours.

Dans un monde où l’on ne peut plus s’inscrire sans travailler, les conditions qui sont faites aux humains, où quelques uns passent leur temps à faire porter aux autres les seules charges de plus en lourdes du besoin, nous sommes devenus des insomniaques chroniques.

Insomnie, encore une maladie inventée par la science du fait de la faille épistémo-somatique (Ce terme de Lacan qui est un hapax, signifie un défaut de savoir sur le corps) qui l’accompagne de structure, mais qu’elle ignore.

L’industrie pharmaceutique dont la biologie s’est faite l’obligée, la lui cache, il lui faut fourguer ses psychotropes, qui sont tous dommageables pour le sujet.
Les Parlêtres, que nous sommes tous, c’est-à-dire des sujets qui ont un nom, un corps et une histoire ne sont pas faits pour dormir 8 heures d’affilée, et rester le reste du temps éveillés pour accomplir des activités les plus invraisemblables.

Lacan pointait déjà en parlant des Bains de Rome, que si les romains de l’époque voyaient comment nous vivons ils seraient bouleversés d’horreur.

J’ai réinventé un art du dormir, pour mon usage personnel.

J’ai rencontré des personnes qui avaient fait de même et pas forcement en passant par les mêmes voies.
Que ces pratiques, chacune spécifique à chacun se ressemblent un peu, me fait dire qu’elles sont en rapport à la structure du Parlêtre.

Patrick Valas, Paris le 2009-12-27

 
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