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dimanche 1er décembre 2013
par  P. Valas

La famille conjugale moderne. Du nouveau en 2013 : le mariage pour tous ?

Daniel Pendanx : Réponse à l’article La famille conjugale moderne. Du nouveau en 2013 : le mariage pour tous ?

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vendredi 15 février 2013 à 19h06 - par  Daniel Pendanx

Cher Patrick,

Lisant tes quelques lignes réintroduisant cette intervention sur “la famille conjugale moderne” , il m’a semblé que tu te prêtais là, un peu d’ailleurs contre l’esprit général de ton propos, à cette disons facilité ou réduction théorique sur la base de quoi je vois le « lacanisme » se constituer comme un discours (avec sa dogmaticité et ses propres « figures », sa dimension normative irréductible) qui au final vient entretenir, culturellement et politiquement entretenir, l’avenir de l’illusion – toute l’actualité (confusionnelle) de l’anti-doxa. Je vais essayer de m’en expliquer.

Le déchaînement présent du groupe millerien, avec son agit-prop. permanente (journal ” Quotidien Lacan” s.v.p., meeting avec compagnons de route et v.i.p. du Spectacle, pétitions, publication), est la pointe extrême de cela, y scotchant bien des suiveurs.

D’aucuns, perplexes, relevaient récemment lors d’un colloque (concernant le travail social de la protection administrative et judiciaire de l’enfance) : plus il y a de réparateurs plus il semble y avoir de pannes… Et puis Le Monde titrait sur le naufrage de la Protection Judiciaire de la Jeunesse. Oui, la production des Dépanneurs, au service du positivisme éducatif, du thérapeutisme – un positivisme qui vise à contourner sinon à réduire le rapport au réel, à l’impossible, participe du problème… Le problème, éternel, du « malaise » dans l’éducation, la transmission de la Loi n’est-ce pas. [Moi je suis par exemple depuis longtemps, face à ce positivisme qui entretient la dite “perte des repères”, ne serait-ce qu’au titre de la dénoncer, pour deux mesures révolutionnaires phares : 1) fin des formations universitaires de « psychologues » (imagine un peu comment une telle proposition peut-être reçue aujourd’hui !), et 2) ne plus faire des juges des enfants les juges de l’Assistance éducative. Et là je sais, pour être bien placé, pourquoi, de celle-ci, nul n’en veut. Tous tiennent tant au juge, au juge non juge s’entend , et le juge lui-même si peu au juge-interprète ! L’homoparentalité institutionnelle, nous y sommes depuis si longtemps dedans. L’affaire du « mariage gay », c’est la cerise sur le gâteau, comme une dernière pierre à l’édifice.]

Concernant le dit naufrage des repères – et “naufrage” il y a (mais l’ancien temps avait ses propres folies !) – il conviendrait, si tout du moins on prétend à une position d’interprète, ne serait-ce que vis-à-vis du législateur et de ses concitoyens – d’aborder les choses dans une toute autre rigueur et liberté. Mais voilà qui exige de soutenir une voie qui ne soit pas d’orgueil (d’orgueil éducatif et thérapeutique, d’orgueil politique, soit-il « psychanalytique ») , une voie, comme disait aussi notre bon Freud, entre Charybde et Scylla : entre le Charybde du vieux juridisme (ou familialisme social) et le Scylla de l’anti-œdipisme, de l’anti-doxa.

Mais je veux d’abord ici rapporter, marquant très vite le chemin de réflexion qui m’a engagé dans la voie où je suis aujourd’hui, et par là faire peut-être mieux entendre mon propos, qu’il y a eu un temps de ce trajet, temps maintenant quelque peu lointain, où m’extirpant du psychologisme (de cette idée par exemple que pour qu’il y ait du tiers, du père, dans une famille, il fallait injecter du père concret, un tiers concret dans la scène du cas), commençant à me saisir du fait que la mise en œuvre du nom-du-père, de l’espace de séparation, de la fonction paternelle, pouvait être le fait « d’un-père » de quelque sexe soit-il (cf. Lacan dans les Ecrits), j’en étais venu à penser que les couples de même sexe (la réflexion portait alors sur ce qui se passait chez nos amis suédois, toujours en avance n’est-ce pas), pouvaient être légitimés sans encombre… Ma vie, ma propre expérience de praticien, mon chemin d’élaboration et de pensée, l’apport des Legendre, m’ont porté à me saisir du lien intrinsèque de la subjectivation (de la sublimation de l’Œdipe) avec les fictions institutionnelles, les montages du Droit : j’ai alors compris qu’il s’agissait, non de révolutionner et de déconstruire les montages, mais, comme du père, ainsi qu’on le prête à Lacan, il faut savoir s’en servir. Mais on n’apprend à s’en servir que si l’on se saisit du fait, du fait symbolique, je résume et simplifie, que du tiers il n’y a que tiers exclu , et que de cela, en regard de la logique du fantasme (logique d’indifférenciation et de “meurtre”), le Droit (et l’institutionnalité) doivent être comptables - sinon à verser vers une forme ou une autre de tyrannie.

Maintenant, mes remarques ; celles-ci, données à l’état brut, portent donc sur les deux lignes suivantes de ton introduction récente :

« Homme ou femme, après tout ne sont que des signifiants, dont se déduit qu’il y a un impossible à savoir sur le sexe.
A cet égard, les formules de la sexuation, signifient que le sujet fait le choix (surdéterminé) de son identité sexuée, indépendamment de son sexe anatomique. »

Les mots mère et père ne sont pas de purs signifiants, disons poétiques, flottants au gré du désir, ni davantage, l’un ou l’autre, un signifiant absolu, tel le Phallus ou le Totem.
Au titre du signifiant ils s’inscrivent donc dans ce lien constitutif du mot qui unit le signifiant au signifié, soit, comme y est souvent revenu Legendre dans ce « lien constitutif de la dette du mot, par laquelle le sujet parlant s’inscrit dans l’institution du langage ; … » (cf. note p.149 de Dieu au miroir) .

Poser que homme ou femme “ne sont que des signifiants” », qui seraient au fond comme à disposition du sujet (lequel choisirait, comme dans la transsexualité), c’est hypostasier le signifiant, le surinvestir, en le désarrimant de la structure ternaire du mot : signifié / (écart) / signifiant. Et c’est dès lors s’engager peu ou prou dans la voie (normative occulte) du sujet libre de son choix, le sujet postmoderne, auto-fondé.

Tu prends toutefois, toi, la précaution d’indiquer entre parenthèses que ce choix est surdéterminé ; oui, mais “surdéterminé” par quoi ? Je dirai de mon côté, tout autant surdéterminé par le discours familial dans lequel il est advenu que surdéterminé par l’ordre du signe, de légalité du signe (du lien de dette du signifiant au signifié, de la « loi du langage ») qui institue le sujet à sa place de droit.
C’est dans ce désarrimage du signifiant à l’ordre légal du signe, du mot, que le bât blesse dans le « lacanisme ». Mais cette proposition (soulignant une faille présente déjà, je le pense avec Legendre, dans l’orientation de Lacan) ne me fait pas négliger l’autre travers (garde toi à gauche, garde toi à droite mon frère) : celui de la réduction du signifiant sur le signifié (concomitante à la réduction du mot sur la chose) – réduction des registres qui est celle de tout “familialisme”, de toute conception objectiviste de la famille, celle là même qui sous-tend d’ailleurs la supposée famille monoparentale.
Je le répète : il n’y a pas de famille monoparentale, mais des familles mono-linéaires, ce qui est tout autre chose. Et nous faire croire qu’il y a famille homoparentale, légitimer en droit cela – autrement dit réduire, et c’est là le point commun de tant de discours apparemment opposés, la famille pour l’animal parlant à la nature ou au social – ouvre aux nouvelles dé-symbolisations… Ce qui est, sous les grandes proclamations de "l’amour" et de "l’égalité", promouvoir la nouvelle folie politique.

[J’ai insisté sur le forum du site Oedipe, semble-t-il dans le désert, et plus encore, en levant grande hostilité pour ce crime de lèse-majesté universitaire, sur le fait que les analystes soient aujourd’hui à la traîne de l’anthropologie sociale (Héritier, Godelier), qu’ils préfèrent celle-ci, et pour quelle Cause ?, à l’anthropologie dogmatique… Il conviendrait pourtant de reprendre cette affaire : montrer, dans le fil de ce que Lacan en a ouvert dans sa critique de la « sociologie environnementale”, combien les conceptions objectivistes de la sociologie ont continué d’infiltrer les milieux de la psychanalyse. Quand je pense que des analystes prennent au sérieux par exemple les confusions de registres récurrentes d’Irène Théry, ou, sans autre réplique, le comparatisme "social" et "sexuel" entre les bonobos et nous, de Godelier ! Etc. ]

Dès lors que l’écart du signifiant au signifié est préservé, il y a du « jeu », du jeu possible avec les mots bien sûr, mais cet écart, ce jeu, ils n’existent que d’une liaison, et que d’un certain « ordre » (l’ordre que Lacan avait en vue, ainsi que le rappelle Melman dans le propos que j’ai rapporté dans mon texte Le mariage gay, les pétitions et l’interprète).

Chaque figure fondatrice (mère ou père), pour relever de cet ordre (de la loi du langage), et plus précisément encore, de la structure ternaire même du signe (signifié/signifiant) – en laquelle s’implique le lien de légalité, de dette, du signifiant au signifié –, chaque figure oppose à tout sujet, au fantasme de tout sujet, en tant que telle, le mur de cette première institution qu’est le langage, le mur, dira Legendre, de la dogmaticité : c’est le mur de l’institution des images (Dieu au miroir, p.148 et ss.) – mur qui soutient ce qu’on nomme Interdit. A charge pour les interprètes, dans leur propre œuvre « parentale » médiane, sur des plans distincts (dont celui, spécifique, mais rattachable à l’œuvre « parentale » médiane générale, de l’analyste) de faire valoir cet Interdit – soit l’écart, l’espace de séparation entre le signifiant et le signifié, entre les figures elles-mêmes –, en en payant d’abord pour eux-mêmes le prix subjectif. A partir de quoi le sujet rencontre les conditions d’entrée, pour son propre compte de sujet, dans la dialectisation-subjectivation de l’écart, de la « séparation », celle de son rapport, toujours boiteux, au Réel.

Chaque figure (Mère ou Père), relevant de la loi du langage, du lien de dette du signifiant au signifié [lien de dette qui s’ordonne à ce le lien de dette homme-père, mère-femme dont le noyau du droit civil a été jusqu’à ce jour comptable], renvoie le sujet à ce dont justement le langage le coupe, le sépare : du reflet de lui-même et de l’opacité de ce que nous appelons “nature”.

Une figure n’existe (dans le champ normatif du principe de Raison, de contradiction, du tiers exclu) que dans la distinction et la liaison de l’autre figure, que celle-ci soit incarnée ou non ! Et de ce fait toute figure, dès lors qu’elle est soutenue, habitée en tant que telle (= en tant que figure symbolique) par le sujet, participe, dans la scène de la représentation fondatrice, de l’institution de l’écart, soit de la coupure, de la séparation. Ce qui permet de dire par exemple qu’une mère et son enfant, dès lors qu’ils se trouvent par l’état civil référés l’un et l’autre, de leur place, à une même fiction fondatrice, non faussée [fiction dont le rite du mariage a vocation à être comptable, pour les mariés comme pour les non mariés] - cet enfant étant ainsi lié, pour son propre compte de sujet, à la catégorie du père, soit-elle celle, ultime, du père inconnu, catégorie qui ne saurait être à disposition, comme tout y tend, du "désir" de la mère - et dès lors que la mère se trouve conviée en droit à habiter subjectivement son propre lien de ligne, c’est déjà une famille, pas une famille décomplétée, monoparentale  !

Une figure parentale n’existe comme telle (comme fiction distincte et liée) que nouée dans un rapport d’ordre (langagier, de légalité) avec une autre figure : dans ce rapport dissymétrique au Phallus qu’est celui de la différence des sexes. Dès lors qu’une figure existe comme telle, autrement dit, dès lors qu’un parent est référé (à l’axe phallique, selon son sexe), l’autre figure parentale existe comme telle aussi, que l’autre parent soit présent ou absent.

C’est de cette existence là, de ce rapport là entre les figures parentales, dont la culture et le droit sont comptables, que dépend, comme disait Lacan, le sort psychologique de l’enfant, que dépendent les conditions du procès subjectif de distinction de soi et de soi-même , de soi et de l’autre, l’autre en soi.

C’est de ce "rapport entre les figures", de ce cadre de représentation, noué au Grand Autre (à la Référence totémique), dont tout interprète, et donc également tout analyste, non seulement tire sa légitimité dans le transfert, mais est comptable.

Pour reprendre un propos sensible d’Eva Talineau (que je remercie là de sa lecture et du rebond à mon texte), très approprié à mes yeux pour aborder la responsabilité politique (je n’ose dire "éthique") des analystes et autres interprètes, je dirai qu’il s’agit en effet de savoir de quoi, par rapport à une telle affaire, les interprètes sont "comptables". Je dis que nous sommes comptables de "dire" quel est le cadre qui nous fonde comme interprète, autrement dit comptables de dire et de témoigner de la symbolisation des figures qui nous fonde à "s’autoriser que de soi-même", ou comme disait Winnicott, "d’être sa propre figure parentale"… C’est bien de saisir (ainsi que tout mon parcours m’y a conduit) ce qu’il en est des fondements généalogiques-juridiques de la clinique - du mythe et du cadre de la représentation “oedipienne” (“cadre de légalité de la clinique”) qui fondent et légitiment toute pratique d’interprète -, que nous pouvons intervenir en raison, et en interprètes, dans cette affaire dite du “mariage pour tous”. C’est d’abord de cela, de cette exigence d’une fiction fondatrice équilibrée, non faussée, symbolique - à laquelle chacun, en regard de ses surdéterminations, familiales, culturelles, se rapporte comme il peut - , que nous avons à répondre dans la Cité, même si c’est une exigence difficile à tenir .

Difficile car nous touchons là tout à la fois 1) à la position de l’interprète dans la Cité, ou plus exactement, à la position de l’interprète dans le mythe institutionnel œdipien [tu as cher Patrick notait de ton côté, comme je l’avais indiqué sur le forum du site Œdipe, que « cette revendication « mariage pour tous » est la confirmation de la valeur absolue de la « famille conjugale moderne » , autrement dit, de la valeur générique, absolue, toujours aussi actuelle (non réductible à je ne sais quelle viennoiserie ou ancien temps !, du mythe œdipien qui sous-tend cette représentation de la « famille conjugale moderne », et 2) difficile parce que la distinction et l’articulation des registres, l’articulation du jeu des identifications inconscientes aux catégories juridiques, langagières de la Filiation, aux montages du Droit, restent aujourd’hui pour le moins sous-investie, incomprises. Ce dont témoigne la façon dont le propre apport d’Alexandra Papageorgiou-Legendre (dans Filiation, Leçons IV), sur les fondements généalogiques de la psychanalyse, est mis sous le boisseau, non lu, non discuté… Sinon dans quelques propos caricaturaux.

J’en reste là, te remerciant de l’occasion offerte de creuser tranquillement une controverse, certes difficile, mais d’autant plus difficile qu’il devient impossible de la soutenir hors ces enjeux de communauté, inavouables, qui semblent aujourd’hui commander les analystes. Des enjeux pourtant forts “visibles”, tout du moins à l’interprète et au fou, au fou du Roi-Sujet, of course.

Amicalement,

Daniel Pendanx