La construction du fantasme dans la cure.
Avec Freud :
Ce titre est choisi en référence au texte de Freud dans son analyse du fantasme Un enfant est battu (1919).
Que ce fantasme typique soit souvent retrouvé aussi bien chez des névrosés hystériques ou obsessionnels voire psychasthéniques, hommes ou femmes, témoigne de son caractère trans-clinique et de son lien à la structure. Ce qui ne veut pas dire que leurs comportements et leurs symptômes soient les mêmes, puisqu’ils en font un usage différent.
Pour Freud, ce fantasme est à part dans l’économie de la névrose. Difficilement accessible, il est avoué dans la honte, ce qui permet de le corréler à un désir coupable. Il est remarquable par la fixité de sa formulation : « Un enfant est battu » et se manifeste de façon récurrente dans la pensée du sujet qui en obtient, par une pratique symptomatique de masturbation compulsive, un plaisir intense.
Freud le qualifie comme trait de perversion caractérisé par son atemporalité et son articulation sur le mode de l’impersonnaison, sans relation avec une scène réelle dont le sujet (ce terme est à prendre dans son sens courant) se détourne avec dégoût, s’il peut en être le témoin à l’occasion. C’est un mode d’identification du sujet au fantasme. Freud va le démontrer logiquement.
Pressant de questions ses patients comme il sait le faire, Freud en obtient une autre version plus précise : « mon père bat un enfant que je hais » L’agent batteur, soit le père, et l’enfant battu, en général un puîné, sont identifiés. Que la scène ait été réelle ou imaginaire, Freud ne tranche pas, mais il écarte tout sadisme ou masochisme à l’endroit du patient. On peut souligner ici que le mouvement de la pulsion, à l’œuvre dans le fantasme est tributaire de la grammaire. Autre remarque encore, Freud ne confond pas le fantasme, ni la pulsion avec une perversion vraie. Le geste du père est pour le patient un message de son amour pour lui puisqu’il bat le rival haï.
Freud veut faire un lien logique, entre le temps troisième « Un enfant est battu » et le temps premier retrouvé par retour du refoulé « Mon père bat un enfant que je hais ». Pour lui, en effet, le fantasme, dans ses variations, est un scénario complet contenu dans une phrase dont la signification est absolue, c’est-à-dire détachée de tout contexte, et donc pleinement achevée. Comment procède t-il pour l’analyser ? Par la construction ou la reconstitution logique d’un chaînon manquant, impossible à dire pour le sujet. Ce temps intermédiaire entre les deux précédant ne peut que se formuler ainsi : « Moi-je suis battu par mon père (par amour) ». Ce qui restitue la continuité de l’histoire du sujet en prenant son sens dans l’œdipe. Ce temps intermédiaire est la seule représentation acceptable, pour l’enfant, d’un amour incestueux qui trouve sa réalisation de désir dans une jouissance coupable. C’est d’ailleurs cette jouissance qui d’un accident de son histoire pour l’enfant le fait passer au plan de la structure, alors que son représentant est refoulé. Freud ne nous dit pas ici s’il communique sa trouvaille à ses patients et quels effets il en a obtenu. Ce temps intermédiaire, où l’enfant est dans un rapport duel au père, en ce moment particulier du drame œdipien, n’est jamais retrouvé, il est refoulé. C’est ce qui permet à Freud de conjoindre, le refoulement primordial, le masochisme érogène et le fantasme originaire. La causalité du fantasme dans la constitution et la floraison des symptômes est clairement articulée. Dans Considérations nouvelles sur le masochisme (1923) Freud distingue le masochisme érogène, le masochisme moral et le masochisme primaire. Ce dernier constitue la seule perversion vraie. Elle est primaire et non pas secondaire à un sadisme retourné sur la personne, affirme t-il.
Il y aurait encore beaucoup de choses à dire ici [1], il me faut un peu écourter le temps de mon exposé. Pour ce qui nous intéresse aujourd’hui, dernière précision : Cette construction du fantasme dans la cure chez Freud est la quintessence même de l’interprétation qui porte sur la signification. Mais ce que Freud propose comme signification est tellement nouveau, inouï en son temps, que l’on peut se demander si l’efficace de son interprétation ne tient quand même pas à sa valeur signifiante, à son non-sens. C’est patent avec le petit Hans, dont la phobie est ébranlée, alors qu’il est stimulé dans ses inventions. Freud lui a dit « Je savais avant qu’il soit né qu’un petit garçon, etc. » Hans (4 ans) en est tout chamboulé, et au sortir de son entretien avec Freud, il fait cette remarque amusée à son père : « Mais le professeur doit parler au bon Dieu pour savoir des choses pareilles ». A son père qui ne comprend rien aux élucubrations mythiques de son fils, celui-ci lui répond : « Cela ne fait rien, notes toujours, le Professeur binoclard comprendra ».
Avec Lacan :
Nous parlons plutôt de construction, ou de cristallisation du symptôme analytique, en début de partie, et de disjonction du fantasme en fin de parcours. La cure trouvant sa conclusion, son point de finitude dans l’identité du sujet Boro à son Sinthome. Entre-temps par l’interprétation qui joue de l’équivoque signifiante, le sujet aura appris que pour savoir y faire avec son sinthome, il lui faut coller à sa structure pour entrer un peu plus dans le réel, au-delà du peu de réalité du fantasme.
Vous avez fait savoir, par des moyens diversement valables, que vous pratiquez la psychanalyse. Elle a un tel prestige que l’on vous croit (espérez que ce ne le soit pas aveuglément), en conséquence de quoi ceux qui viennent vous consulter, parce qu’ils souffrent de leur corps ou de leurs pensées, vous supposent savoir mieux que les autres comment y remédier. En réalité, on vous demande n’importe quoi, n’importe comment. Comment répondre ?
En effet, il ne suffit pas de pâtir du signifiant et de subir les affres de la jouissance, c’est ainsi que se définit le patient, pour entreprendre une cure. Mais s’adresser à un psychanalyste, est déjà pour le sujet l’indication qu’il est perdu dans la bonne direction. D’où l’intérêt des entretiens préliminaires, dont le but est de poser les conditions de possibilité ou non d’une telle entreprise. Très schématiquement, il s’agit d’amener ce patient à prendre la parole pour l’extraire des discours dans lesquels elle est aliénée.
Comme c’est écrit dans la présentation du thème de cet après-midi des cartels, c’est rarement à partir d’un fantasme que le patient présente son affaire, mais le plus souvent sous la forme d’un mal-être diffus : « Un ça ne va pas » ce qui après tout, est déjà la définition à minima du symptôme présenté par son bout de réel. L’institution du sujet($) à la place du patient se produit quand on passe du corps à corps au registre du discours, le sujet reconnaissant la part qu’il prend dans le désordre du monde qu’il dénonce comme étant cause de ce dont il se plaint. A la suite de Freud, Lacan appelle cela rectification des rapports du sujet au réel, et non pas rectification du sujet. Dès lors ce qui était présenté comme une réponse ou un état, devient un appel, une question qui se pose au nom de la vérité que comporte l’énigme de la jouissance. Il s’agit là de l’ouverture du symptôme à l’autre alors que de fait le symptôme ne s’adresse à personne, fixant le désir à une jouissance autiste. L’hystérisation du discours induite par la subjectivation du symptôme, fait émerger du côté sujet ($) l’être de vérité du symptôme que l’analyste va compléter comme être de savoir. C’est dire comment est engagé le désir du psychanalyste et sa part de responsabilité. Le symptôme analytique proprement dit, c’est-à-dire analysable comme tel, se cristallise, se précipite au moment de la mise place du sujet supposé savoir. L’analyste ne l’incarne pas, il en est le tenant lieu dans une position d’imposture calculée. Ce qui se lit très bien dans le mathème du discours analytique :
Le savoir supposé (S2), en fait celui de l’analysant ($) est mis en place de vérité dans ce discours analytique (celui de la pratique) par celui qui l’agence en se faisant le semblant pour de vrai et de réel qu’il y a du psychanalyste, laissant à l’analysant l’objet a comme cause de son désir. Dans la cure, l’analysant se soude au couple analyste-analysant. C’est ce que précise Lacan dans La Troisième en 1974. On remarquera que le discours analytique produit des signifiants maîtres (S1) dont peut résulter parfois un savoir dans l’élaboration de la théorie.
Le nouage de ce lien social à deux en quoi consiste le discours psychanalytique comme pratique, est à mon sens prévalent sur le diagnostique de la structure subjective du patient. Même si ce diagnostique peut se poser dès les entretiens préliminaires. En fait il s’agit moins de typifier le sujet à partir de ses symptômes ou de ses comportements, que de savoir le décider à s’engager dans l’acte, ce qui n’est pas pour lui sans en éprouver le sentiment de prendre un risque absolu — mais pas sans le recours de l’offre du désir de l’analyste. Le désir de l’analyste, se distingue du désir du quidam analyste, ce qui ne le rend pas indigne pour autant de supporter l’acte parce qu’il y a du psychanalyste dont le désir est un désir d’être, un désir de trouver la différence absolue, c’est-à-dire détachée, propre à la singularité de chacun. C’est pourquoi Lacan a pu énoncer que la pratique analytique, était une pratique sans valeur, sans unité de mesure, non évaluable.
Je me suis obligé à faire ce long détour, parce que le titre de mon exposé, La construction du fantasme dans la cure, rendait nécessaire son introduction par un brin de théorie et de technique, l’analysant ne livrant pas si facilement le plus intime de lui-même, soit son fantasme.
À l’analyste l’acte qu’il commet sans penser, ce qui ne doit pas l’empêcher de penser la psychanalyse pour ne pas la manquer.
À l’analysant la tâche de parler sous le régime de la libre association, qu’elle ait été saisie par lui implicitement ou qu’il faille la lui formuler explicitement, c’est affaire de cas.
Quant à l’interprétation, comme le soulignait Freud elle ne peut trouver sa juste incidence, que lorsque que le transfert prend sa consistance d’être mise en acte de la réalité de l’inconscient en tant qu’elle est sexuelle.
La seule chose vraiment utile que j’aurai à dire cet après midi est ceci :
La structure de l’interprétation s’apparente à celle du fantasme fondamental, moyennant quoi, c’est à partir d’elle que l’on peut déduire ce qu’est le fantasme. Elle ouvre une voie de franchissement des limites du fantasme, sans pour autant être interprétation de ce dernier. D’autres l’ont certainement déjà remarqué.
Comme s’il entendait de traviole l’analyste interprète en jouant de l’équivoque signifiante, jusqu’au non-sens qui permet le pas de sens (comme un pas de vis). L’interprétation fait fente dont se définit le sujet comme touche du réel, et elle vise ainsi la cause du désir qui n’est pas sans un gain de jouissance incalculable pour l’analysant, « addicté » à la consommation de la jouissance phallique.
Dans le fantasme comme dans l’interprétation, l’être signifiant du sujet ($) et son être de jouissance (a) sont co-présents, sans se confondre. Ce qui ne veut pas dire que l’interprétation et le fantasme aient la même fonction ni la même temporalité.
Le fantasme (indexé du désir) donne au sujet l’illusion d’être l’agent de ce qui se met en scène. En vérité c’est lui ($) qui est joué et joui par le fantasme à comprendre comme fixion a-temporelle du réel. Cette fixion à la fonction d’un axiome, dont la signification est absolue, c’est-à-dire non interprétable et indémontrable. Le symptôme lui se caractérise par sa varité et son insistance. Il a une structure temporelle complexe. L’interprétation fait le sujet s’y retrouver comme désir (Écrits p.623) au prix de s’abolir, de venir à l’être de disparaître de son dire. A ce titre, l’interprétation, fait moins réponse que question pour le sujet : Que suis-je, ce jouit, jouis-je, j’ouie sens ?
Autrement dit elle fait énigme, et n’a pas à recevoir l’assentiment du sujet. C’est de l’inventivité qu’elle stimule en lui que sa juste incidence trouve sa preuve. Le désir c’est son interprétation dans le droit fil du désir de l’analyste qui est son énonciation. Par l’interprétation on mobilise, on ébranle le symptôme. Le moment de l’interprétation ne dure qu’un instant, car elle doit être preste pour satisfaire à l’entreprêt de ce qui perdure de perte pure … Elle est touche du réel du désir, qui lui dure toute la vie comme le dit une chanson populaire sur l’amour. D’ailleurs mieux vaudrait dire qu’on à l’âge de son désir, plutôt que de ses artères. Bien entendu, l’analyste peut intervenir autrement dans le fil du parler de l’analysant qui est à la fois dire et dits, mais ses interventions auront toujours valeur d’interprétation. Comme un « je te le fais pas dire », « tu l’as dit », « parfait, c’est ça, tu ne peux pas le dire mieux ». D’où le série des autres modalités d’intervention : Silence de l’analyste, question, ponctuation, répétition ou soulignage des termes de l’analysant, scansion, motion suspensive de la séance. Que l’analyste, puisse se tromper à l’occasion ce n’est pas si grave s’il reconnaît que l’analysant peut en tirer quelque chose en revenant dessus. Il y a dans les divagations de l’analysant une floraison de fantasmes, où se démontre que chez le névrosé le fantasme fonctionne comme la pulsion, dans la mesure où il confond son objet avec la demande de L’Autre. C’est là que peut se saisir :
D’une part, comment la pulsion silencieuse, est à l’œuvre dans le fantasme, et que ses mouvements peuvent être suivis par la grammaire du texte du fantasme dont la logique est celle de l’inconscient, comme Freud l’a explicitement démontré.
D’autre part, de repérer les signifiants du désir de l’Autre, constitutifs des symptômes où le désir du sujet est aliéné.
Enfin, comment Freud, va jusqu’à définir le symptôme comme condensation de fantasmes. Mais la décantation du foisonnement des fantasmes les ramène tous au fantasme fondamental — un peu comme tous les chemins mènent à Rome.
Au fond on retrouve ici ce que Freud n’a jamais cessé de démontrer : Le fantasme est impliqué dans le symptôme en tant qu’il le cause, via la pulsion. Le symptôme est en effet une des vicissitudes de la pulsion.
Pour sa part Lacan, avance que le sujet de l’inconscient n’est rien d’autre que l’élision, la forclusion même d’un S1, qui le barre et se barre en même temps pour constituer le refoulement originaire (il est une sorte de symptôme originaire). D’où leur équivalence. C’est par ce biais que Lacan établit une connexion entre le refoulement originaire, le masochisme érogène et le fantasme fondamental. Si le refoulement originaire est inaccessible, le fantasme fondamental peut être abordé par le biais d’une logique de l’acte où s’alternent les opérations d’aliénation et de séparation, dans la causation du sujet [2].
C’est ce qui se déploie dans l’acte analytique, définie comme étant la passe de l’analysant à l’analyste.
J’en resterai, là pour aujourd’hui, approuvant la sagesse de l’Ecole, qui veut que pour laisser champ libre à la nouvelle expérience de la passe et à ce qu’elle pourrait nous enseigner, nous ne ramenions pas trop vite notre barda lacanien sur cette question. La passe, n’est pas la fin de la cure même si elle l’annonce, souhaitons à ceux qui parviennent à son point de finitude, un atterrissage en douceur, ce que semble permettre l’identité du sujet à son sinthome, pour savoir y faire avec. Lacan n’en a pas seulement changé l’orthographe mais aussi la définition de sa structure en l’abordant par son versant de réel et de jouissance. Il me faut encore pour conclure, indiquer une autre référence de Lacan très peu exploitée jusqu’à présent. Il en a esquissé les contours, difficiles à saisir notamment dans le séminaire L’Insu que sait de l’une-bévue s’aile à mourre (non publié). Au cours de la séance du 15 février 1977 il dit ceci :
« Comment reconnaîtrions-nous dans le noir que c’est un nœud borroméen, c’est de cela dont il s’agit dans la passe ? »
Ne croyez pas que c’est un hapax, il y a d’autres coordonnées qui vont dans ce sens dans ses séminaires Boro des années 1970. Il les a produits alors qu’au moment de la mise en place de la procédure de la passe fondée sur sa Proposition… de 1967, il en constatait l’échec dès 1972, et cela plusieurs fois après, bien avant la dissolution de son École. S’il en a maintenu l’expérience, il devait avoir trouvé quelques raisons qui nous encouragent à poursuivre.
Patrick Valas
[1] J’en laisse le soin à Irène Fourno, qui va faire son exposé aujourd’hui sur l’intitulé "Le fantasme et l’Autre barré". Après-midi des cartels le 12 février 2005.
[2] Je ne peux pas développer cela aujourd’hui ici. Pour la compréhension de cette affaire, je renvoie au remarquable exposé de Bernard Nominé intitulé : L’acte analytique, la tâche analysante et le « faire analytique ». Fait en janvier 2005 à Paris, dans le cadre du séminaire de l’École et publié dans le nº 5 du Mensuel de l’E.P.F.C. Bernard Nominé, montre comment Lacan prend appui sur le cogito cartésien en lui faisant subir toutes sortes de misères pour le transformer en ce cogito lacanien où se combinent l’alternance d’un ou je ne pense pas, ou je ne suis pas. Ce que dans notre rude langage nous nominons (sans malice) traversée du fantasme par le pont-des-ânons-du-père d’un groupe involutif de Klein. Qui est en vérité le parcours logique de sa structure, produisant sa disjonction, faisant goûter à l’analysant les délices de la destitution subjective, et à l’analyste les affres du désêtre. Moyennant quoi, le sujet qui se plaignait d’un certain manque au départ de l’aventure analytique, se retrouve en fin de partie avec deux manques sur les bras croisés en chiasme, -phi et a qu’il doit consentir à perdre.
Patrick Valas, 2005
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